L'économie de la dette selon Jacques Sapir

Philippe Brindet - 18 Juillet 2025

Dans un entretien avec la chaîne YouTube Front Populaire - Debt: Has Emmanuel Macron Destroyed the French Economy? - Analysis by Jacques Sapir - l'économiste Jacques Sapir détruit deux mythes catastrophiques : la faillite de l'Etat endetté et l'annulation régalienne de la dette. En effet, selon lui :

  1. les Etats, la France notamment, ne peuvent pas faire faillite à cause de la dette ;
  2. il est absolument impossible d'annuler la dette d'un Etat.

1 - La dette n'a jamais conduit un Etat à la faillite

Selon Sapir, aucun pays n'a jamais remboursé sa dette. Seule la Finlande l'a fait dans les années 1920. La dette est roulante. Lorsque une dette devient exigible, l'Etat la replace comme nouvelle dette et il ne fait que payer les intérêts. De ce fait, le danger réside dans une hausse brutale des taux d'intérêts qui empêcherait un Etat de payer les intérêts annuels de sa dette. Il faudrait que le taux soit singulièrement élevé parce que les Etats peuvent toujours recourir à l'impôt sans aucune limite pour couvrir la charge des intérêts.

2 - La dette n'est pas annulable

A la question de savoir pourquoi, puisque l'Etat ne paye jamais sa dette, pourquoi ne peut-il pas annuler cette dette, Sapir répond par le mécanisme des marchés financiers. Pour obtenir de l'argent qu'il doit à ses créanciers, l'Etat produit des titres financiers qui s'appellent notamment en France les bons du Trésor. Ces titres sont acquis par les établissements financiers, banques, assurances, etc. qui les revendent sur les marchés financiers. Sous une forme ou sous une autre (les produits dérivés). Quand une banque a besoin de liquidités, elle revend sur le marché financier quelques kilos de bons du Trésor sans aucune valeur et croit recharger sa caisse. Tant que les "autres" croient aux bons du Trésor ...

Supposons que l'Etat annule sa dette en détruisant les bons du Trésor qui la représente. Les prêteurs seraient "volés" - ce qui est le cadet des soucis de l'Etat, c'est entendu. Mais ceci fait, il ruinerait les institutions financières qui fonctionnent avec cette dette. Cela lui est impossible parce que, en cascade, il perdrait tout crédit et la dette a ceci de commun avec la drogue qu'elle est addictive. L'Etat ne pourrait plus accéder à la dette d'une part et aux marchés financiers d'autre part. Il lui faudrait alors la tutelle du FMI ...

3 - Quelques critiques de la thèse de Sapir

Je crains que Sapir, qui est un économiste compétent, n'ait raison. Aussi, que mon lecteur ne croit pas un instant que je fasse la "leçon" à Sapir. Mais, la portée de sa thèse se limite probablement à la période "libérale" allant de 1991 à nos jours. Nous pouvons tous souhaiter que cette période se termine. Mais celà ne prouve pas hélas que Sapir ait tort.

En 1991, la Caste a décidé de faire passer l'occident dans un régime non plus industriel (première étape), non plus commercial (deuxième étape probablement vers 1980), mais financier (troisième étape). Pour celà, il a été décidé que les Etats occidentaux, US en tête, allaient créer une dette colossale. Avant cette date, la dette était la plupart du temps et dans la plupart des Etats, relativement mineure. A l'époque, ils avaient encore du travail, de l'énergie, des minerais, de l'agriculture et de l'industrie. On disait parfois que "cette dette était soutenable". A cette époque, on nous abreuvait de sophismes sur le rôle essentiel de l'investissement productif qui nécessitait - on ne sait trop pourquoi - la dette. Mais la cascade de sophismes déroulée alors suffisait pour convaincre les humains comme la flûte du du charmeur de rats.

Comparer la dette à des dates diifférentes est une opération délicate. Par exemple, la dette formidable des USA provient à la fois d'un déficit croissant annuel et perpétuel, mais aussi du fait que le dollar ne vaut pratiquement plus rien. La moitié des américains sont très pauvres. La majeure partie du reste est pauvre avec une Tesla chinoise et une pompe à chaleur sud-coréenne ... Les USA n'ont plus d'industrie, plus d'agriculture, plus d'énergie, plus de travail. La dette est dès lors le seul moyen de se soutenir. Tant qu'on le peut.

Or, au sujet des USA, la montée d'alliances entre divers Etats non occidentaux démontre que les USA ne pourront pas se soutenir très longtemps. Actuellement, selon le Secrétaire général de l'OTAN, les russes produisent en trois mois plus de munitions que l'ensemble de l'OTAN. Les membres de l'OTAN sont matériellement empêchés de faire mieux.

De plus, la France est dans une situation très proche de celle des USA, toutes proportions gardées. Plus de la moitié de la population est en réalité pauvre. Elle ne sait pas comment franchir la fin du mois pour s'alimenter et payer les dépenses contraintes par l'Etat.

Se soumettant aux sophismes du libéralisme financier, Sapir imagine que l'impôt permet de "soutenir" le service de la dette ou la dette de manière illimitée. Il en déduit, comme les "libéraux", que "l'Etat ne peut pas faire faillite". C'est une croyance typique de la social-démocratie des années 2000, croyance totalement dépassée aujourd'hui. Dans le premier gisement de ressources fiscales, les pauvres ne payent pas d'impôts et comme les revenus du travail se réduisent, chaque année de nouveaux pauvres ne payent pas d'impôts. L'autre gisement fiscal est composé des "entreprises". Elles subissent exactement le même sort avec la nuance que, si un certain nombre croissant sont liquidées par la hausse fiscale, les autres s'échappent vers des cieux fiscalement plus cléments. Le dernier gisement est celui des colectivités locales. C'est un géant obèse, mais sans aucune force. L'Etat peut faire faillite quand il a ruiné totalement la Nation. C'est fait. Ou pratiquement fait.

L'association du socialisme et du libéralisme est en train de faire crever l'occident. Ses deux monnaies, le dollar et l'euro, sont de la dette et ne recouvrent aucune richesse. L'occident est en train de mourir. Et comme une étoile géante, cet amas galactique qui brille plus fort avant de s'éteindre.


Revue C-Politix (c) 17 Juillet 2025