La France de Mitterrand à Macron : chrétienne ?

Philippe Brindet - 31/10/2025

Dans un dialogue publié par Le Figaro du 31 Octobre 2025, Eric Zemmour et Jérôme Fourquet s'opposent frontalement sur la question. Dans son livre récent, Eric Zemmour explique que la France est "évidemment chrétienne" parce que sinon : "La France n'est plus la France".

Le problème de l'affrontement est que les deux débateurs n'envisagent pas le même problème. Zemmour considère qu'il répond à la question par la volonté politique actionnée par la causalité politique de l'identité tandis que Fourquet l'examine avec des sondages. Tous deux sont probablement dans un même degré de fantasmagorie. Autrement dit, pour Zemmour, si la France n'était plus chrétienne, avec sa politique elle le sera à nouveau, tandis que Fourquet, campé dans la foi dans les chiffres des sondages se borne à constater que en 2025, la France n'est plus chrétienne et que depuis 1980, elle l'est chaque jour un peu moins.

L'argument de Zemmour est d'affirmer que si la France n'est plus chrétienne, alors elle disparaît. Et il étend sa prédiction à tout l'Occident. Il est factuellement d'accord avec Fourquet. Mais, il ajoute autre chose de parfaitement étranger à la pensée de Fourquet. C'est la volonté politique qui fait la France chrétienne. C'est en réalité - il ne le dit pas - la volonté politique de Mitterand à Macron qui fait la France anti-chrétienne et Fourquet le constate. Zemmour regarde l'avenir, Fourquet se limite au présent.

Sur la déchristianisation analysée, Fourquet cite trois statistiques :

  1. "En 1980,1% des obsèques donnaient lieu à une crémation en France. On est à 45% aujourd’hui. "
  2. "En 1980, 70% des nouveau-nés étaient baptisés, ils ne sont plus que 30% aujourd’hui."
  3. "en 1900, 20% de petites filles s’appelaient Marie, c’est 0,2% aujourd’hui."

1981, cela ne vous rappelle rien ? Election de François Mitterrand ! Je ne pense pas un instant que ce "brave homme" fut particulièrement anticatholique - quoique la question peut se poser dans le détail. Mais, il a été élu par des gens qui, consciemment, oeuvraient contre le catholicisme et déployaient une politique résolument destinée à faire perdre les racines chrétiennes à la France et à l'Europe.

C'est un projet politique anticatholique qui se met en place avec Mitterrand et dont Fourquet constate la statistique en faisant semblant de la prendre pour la fatalité du destin ... Air connu ...

En face de lui, Eric Zemmour esquisse un projet politique pour le futur, projet politique imposé selon lui par la volonté politique que la France reste la France.

Bien entendu, il est erroné de considérer que la France était chrétienne avant Mitterrand, et anti-chrétienne après. L'anti-catholicisme en France remonte aux Lumières et s'est donné libre cours lors de deux révolutions 1789 pendant dix ans, puis 1871 pendant six mois. Mais, ces deux explosions ne doivent pas cacher le lent travail de démolition des éléments sociaux qui avaient été développés par le catholicisme.

J'ai - et je l'ai déjà écrit au sujet du livre de Zemmour - quelques doutes sur sa politique dans une France chrétienne qui ne l'est plus. Je n'ai pas encore lu son livre, mais j'ai écouté plusieurs interviews de l'auteur. Je me demande si sa politique "chrétienne" ne se réduirait pas à employer l'arme de la "laïcité" contre l'islam que Zemmour tient pour la principale menace. "LaÏcité" dont il se plait à dire qu'elle a été l'arme principale des anti-catholiques. J'ai déjà trouvé que cette politique était "paradoxale" ...

Or, si la "laïcité" a bien été l'arme destinée à cantonner le catholicisme dans la "sphère privée", il faut conclure que cette acception de la technique de manipulation sociale qu'on appelle "laïcité" n'est pas la laïcité légale. Cette dernière se réduit à deux choses :

  • l'Etat ne salarie aucun officiel d'une quelconque religion ; et
  • une religion se borne aux matières de religion, parce qu'elle est interdite d'exercer la moindre action politique.

Cela ne signifie pas qu'un citoyen catholique, juif ou islamiste ne puisse exprimer une opinion politique catholique, juive ou islamiste. Ni que plusieurs citoyens partageant la même religion n'expriment en politique une expression politique conforme à leur propre religion. Seulement, le religieux est tenu à distance de la décision politique et cette juste distance est celle dans laquelle le citoyen n'est pas empêché dans l'exercice de sa religion.

Vers les années 2000, une telle situation est devenue interdite aux catholiques. Depuis le 7 Octobre 2023, cette situation vient d'être interdite aux juifs. Au nom de la "laïcité" ... dont on ne s'est pas aperçu qu'elle avait totalement changé. Depuis longtemps, la laïcité n'est imposée aux musulmans que sur des détails qui "heurtent" encore les laïcistes. Le port du voile imposé aux musulmanes par certaines factions de l'islam. Comme un signe d'islamisation de la laïcité !

Plus encore - et Zemmour, mais beaucoup d'autres politiques avec lui, ne se prive pas de le dénoncer - la religion islamique ne subit pas du tout cette extension tyrannique de la "laïcité". Des élus spécifiquement musulmans ont été élus sur des motifs essentiellement religieux : le respect de la loi islamique. Celà n'a pas "gêné" les tenants de la laïcité anti-religieuse d'approuver hautement les victoires électorales de ces musulmans. Plus encore, un mouvement politique d'extrême-gauche, refuge de "laïcards" forcenés s'est fait une spécialité de propager partout les motifs musulmans surtout quand ils étaient antijudaïques. Cela fait "râler les honnêtes gens" mais rien ne cesse.

Du coup, le motif central de la politique de Zemmour me paraît à la foix paradoxal et très peu susceptible d'une mise en oeuvre. Le problème de la stratégie "laïque" de Zemmour, c'est que selon la loi islamique, une terre d'Islam est une zone géographique que l'islam considère comme politiquement "vide" et dans laquelle il peut être pratiqué. Le plus laïquement du monde, bien entendu ...

Il existe une possibilité pour lever l'éventuel paradoxe de la "laïcité" de Zemmour. Peut être estime t'il que le principe de "laïcité" qu'il veut mettre en oeuvre contre l'islam reprendrait-il celui de Clermont-Tonnerre en 1791 à l'Assemblée Législative : "Tout pour les juifs en tant qu'individus, rien en tant que nation". Il faudra adapter cependant parce que , si les juifs étaient tenus à raison pour une nation - et pas forcément pour une religion - les musulmans ne connaissent pas le concept de nation. Plusieurs leaders arabes ont tenté la chose : Nasser, Khadafi, ... Ils ont échoué. L'islam est beaucoup plus "flou", "fluide" si vous préférez. C'est une communauté : l'oumma organisée, non pas d'abord autour d'une religion, mais essentiellement autour d'un loi pénale : la Chariah.

Et la "laïcité" même la plus anti-catholique, ne dérange en rien l'islam de la "Dar al Islam". Et cela, Zemmour le sait.

Il existe hélas beaucoup d'autres causes que la "laïcité" et la Révolution à la déchristianisation de la France et de l'Occident. L'une des causes se trouve - et Zemmour en est conscient - dans le Concile Vatican II. De fait, la faction catholique qui s'est emparée du pouvoir à Rome, et dans la plupart des pays occidentaux, est entièrement gagnée aux pires folies du progressisme woke, dont la laïcité anti-catholique est un des fondements.

Beaucoup de gens - peu informés, ou mal ... - imaginent que c'est impossible puisque "si on est catholique, on croît en Dieu" ! Outre qu'un nombre élevé de catholiques ne croient plus en Dieu- fidèles et religieux mêlés - en observant l'Histoire de la Révolution française on pourra observer un clergé catholique entièrement gagné aux idées révolutionnaires et abjurant la Foi de ses pères sans aucun scrupule. Un autre clergé est alors entré en clandestinité. Persécuté avec leurs fidèles, ils ont laissé un nombre effroyable de morts, souvent dans des condiitions terribles. Massacres qui ont été plus tard adoptés et répétés par le nazisme et par le communisme qui s'en sont vantés.

Devant l'apostasie des ecclésiastiques, les catholiques français ont tout simplement quitté les églises. Ce n'est qu'avec le Concordat de Naopléon qu'ils sont revenu dan sles églises. Et lentement, prudemment.

Jérôme Fourquet déduit du vide des églises que le catholicisme est en train de disparaître. Ce serait possible, mais cela n'est pas prouvé. Les catholiques sont seulement désertés les églises infectées par l'anticatholicisme de faux prêtres. Mais, les catholiques sont toujours là, clandestins, souffrant une persécution abominable parce que plus masquée que celle du terrorisme de 1793. De nombreux fidèles sont encore trompés ou bien par les collaborateurs du progressisme woke au pouvoir en Occident, ou bien par le découragement. Mais - et Zemmour a raison sur ce point - l'identité française est catholique. La catastrophe historique qui guette la France et l'Occident ne concerne en rien le christianisme.

Comment ? Peut être ne le verrons-nous pas. Mais d'autres si. Et Zemmour et sa Reconquête nous offre certainement une possibilité d'un renouveau.






Revue C-Politix (c) 31 Octobre 2025