La réunion entre Poutine et Trump en Alaska - Quelques considérations

Philippe Brindet - 10.08.2025

L'annonce d'une réunion entre Poutine et Trump en Alaska, prévue le 15 août 2025, est une surprise.

Quelques jours seulement auparavant, Trump avait annoncé un ultimatum public aux russes : faites un cessez-le-feu et une négociation pour la paix en Ukraine dan sles 10 jours. La réaction des russes est de proposer une réunion avec Trump et les deux parties s'accordent pour la tenir en Alaska, ancien territoire russe, ce qui est l'ironie de l'Histoire.

Deux absents de cette réunion : Zelinsky, le dictateur de fait au pouvoir en Ukraine, installé là par les Occidentaux et, parmi les occidentaux, l'Union Européenne.

Trump a proposé que la discussion porte sur "un échange de territoires entre les russes et les ukrainiens". Poutine n'a rien dit.

1 - Les grandes lignes de la stratégie américaine

Quand l'Union soviétique s'effondre en 1991, les Etats-Unis considèrent que la Russie doit être démembrée et ses richesses, notamment minières, doivent être pillées par les entreprises américaines. Sa classe politique doit être totalement soumise au pouvoir américain, ce bizarre mélange d'autocrates démocrates, souvent désignés de père en fils ou du même genre, et d'oligarques corrompus et plus riches que l'Etat américain lui-même.

Les Etats-Unis accompagnés de leurs vassaux allemands et anglais, commencent par installer leurs agences - FMI en tête - leurs politiciens russes - Eltsine, un corrompu alcoolique entièrement dominé par les forces américaines - ah les éclats de rire de Bill Clinton en visite chez Tonton Boris ... Ils s'emparent de l'Ukraine à l'aide notamment des émigrés ukrainiens installés depuis la première Guerre mondiale aux USA, au Canada ou au Royaume-Uni. Ils utilisent l'OTAN pour détruire la Yougoslavie et parviennent à la démembrer. C'est le sort qu'ils voulaient réserver à la Russie.

Les américains conscients que leur stratégie russe piétine tentent de remplacer Eltsine par quelqu'un de "plus présentable". Par le biais du World Economic Forum, les américains ont sélectionné une classe politique conforme qu'ils souhaitent installer hors des Etats Unis. Ce sera Angela Merkel en Allemagne, Nicolas Sarkozy en France et ... Vladimir Poutine en Russie. Las, à peine au pouvoir, Poutine leur échappe et, au lieu de se soumettre à l'autorité de Brezinsky et de Wolfowitz, se laisse influencer par le Russe Primakov. Poutine, ce "traître", se met à oeuvrer pour la Russie ...

Poutine en quinze ans parvient à chasser les américains de Russie et à reprendre le contrôle des territoires que la guérilla islamiste, actionnée et subventionnée par les agences spéciales américains, avait développé en Russie. Dans le même temps, Poutine tente de négocier des accords multilatéraux avec les occidentaux. Selon certains aspects, Poutine est un nationaliste russe. C'est pour celà qu'il est détesté et méprisé par l'Occident et particulièrement par les américians. Mais selon d'autres aspects, Poutine est vraiment un homme du World Economic Forum, acquis à la mondialisation et au partenariat public - privé entre les Etats et les hyper milliardaires.

Seulement, il veut cette mondialisation sur une base de multilatéralisme et pas sur celle de l'empire américain. Il prévient tout le monde en 2006 lors d'un discours mémorable à la Conférence pour la Sécurité à Münich que les occidentaux font mine de ne pas avoir écouté. Le résultat est l'organisation par les Etats-Unis, aidés de l'Allemagne de Merkel, d'un coup d'état en Ukraine où le régime étudiait le rapprochement avec l'Union européenne ou avec la Russie. Ce fut le coup d'état de Maïdan, cette place centrale de Kiev où les américains soutinrent l'extrême droite raciste ukrainienne pour lui confier le pouvoir en Ukraine.

Empêtré dans de nombreux problèmes, et probablement pas encore prêt militairement, Poutine laisse faire tout en soutenant comme il pouvait la rebellion de la population russe en Ukraine, notament dan sles régions de l'Est. Il s'empare cependant de la Crimée. Les Occidentaux poussent des cris d'orfraie, mais rien n'y fait. Les Occidentaux décident alors d'armer l'Ukraine pour la jeter contre Poutine de façon à préparer un changement de régime qui déposerait Poutine et installerait un régime soumis aux Etats-Unis.

Or Poutine est tellement pro-américain qu'il se laisse berner par eux avec les accords de Minsk qui permettent aux Etats-Unis de préparer l'armée ukrainienne à une guerre contre la Russie. Poutine finit par s'alarmer de la situation et décide en février 2022, pendant le premier mandat de Trump, une invasion bizarre de l'Ukraine.

Mon lecteur se souvient certainement du reste de l'histoire.

La stratégie américaine est depuis trente ans dominée par la volonté inflexible de détruire la Russie. Et rien n'indique qu'elle a changé.

2 - Trois ans de guerre en Ukraine ...

La prochaine réunion en Alaska a lieu après trois ans et demi d'une guerre bizarre au cours de laquelle les russes ont laissé la propagande occidentale dans l'illusion que les russes étaient faibles parce que leurs armées avaient reculées après leur première offensive et que depuis ils ont acquis moins du quart de la surface de l'Ukraine.

En réalité, l'armée russe a littéralement usé :

  • le potentiel humain de l'Ukraine, tuant probablement plus d'un million de soldats et faisant des mutilés en nombre immense ;
  • le potentiel militaro-industriel de l'Ukraine détruisant ses infrastructures et ses centres de production de latériel militaire ; et
  • le potentiel d'aide militaire des occidentaux, américains en tête.

Sur ce dernier point, Trump se trouve avec deux conflits majeurs en cours : Ukraine et Israël, et un troisième qui lui paraît inéluctable avec la Chine. La faiblesse militaire des USA est telle qu'il ne peut plus forunir à la fois Israël et l'Ukraine. Il a donc exigé que les Européens payent le matériel américain pour l'Ukraine, sous des prétextes absolument hilarants. Notamment le mensonge qu'il faudrait que les européens payent leur "propre défense". Ils n'ont rien à défendre ...

Mais, ce n'est tout simplement pas possible. Un tiers des composants du F-35, le "fameux" chasseur furtif américain sont fournis par la Chine, alliée de la Russie. Le tiers de la flotte de F-35 est incapable voler, un autre tiers ne peut pas utiliser toutes les ressources prévues de l'avion et l'autre tiers doit être protégé par de vieux chasseurs F-16 à bout de souffle. Le reste du matériel américain est dans le même état. Les missiles anti-aériens Patriot coûtent une fortune et sont inutiles contre les vecteurs hypersoniques russes, iraniens ou yéménites. Il y a quinze jours, le secrétaire général de l'Otan, le hollandais Rutte, a "avoué" que l'OTAN pouvait compter sur quatre fois moins de munitions que la Russie.

De fait, la Russie a épuisé les ressources de la coalition US - OTAN - Ukraine, dans une guerre d'usure où l'Occident américanisé n'a, une fois de plus, pas été le plus fort. Et il est possible que le manque de gain sur le terrain soit effacé en quelques jours, lorsque l'armée ukrainienne sera décomposée.

Trump, suivi par Biden avant de reprendre la main, est persuadé que les sanctions économiques et financières mettront la Russie à genoux. Dès le début des sanctions en 2014, on s'est aperçu qu'elles étaient inefficaces, les premières ayant contraint la Russie à produire elle-même ce dont l'embargo américain la privait. Trump veut étendre les sanctions aux alliés de la Russie pour les empêcher de commercer avec elle. Mais la Chine ne dirige que 18% de sa production vers les USA. Les sanctions de l'Occident à l'encontre du reste du monde deviennent de plus en plus innefficaces et elles poussent ce reste du monde dans les bras des alliances avec la Russie : Brics, accord de Shanghaï ... ou des alliance avec la Chine : CSO, Route de la Soie, ...

3 - Pourquoi la Russie négocierait-elle quoique ce soit avec Trump ?

Au point de vue militaire, Poutine est loin d'avoir atteint des objectifs militaires convenables. Il occupe la Crimée, Lougansk à 90%, Donetsk à 80%, mais Zaporijzia ou Kherson à 50%. Et il a à peine le pied dans les régions de Kharkov ou de Soumy, et aucune implantation militaire dans les oblasts de Odessa, Dniepropêtrovsk, ... tous aussi russophones que les autres, ... Contre l'option du cessez-le-feu, la Russie peut estimer qu'il reste un dernier effort de durée très limitée pour élargir suffisamment ses conquêtes. Un cessez-le-feu ruinerait cet espoir ...

Sauf sa tentative avortée d'invasion sur Bryansk, l'Ukraine est incapable de la moindre offensive notable. Quelques contre-attaques mettant sur le front moins de 1.000 hommes et quelques chars ... Cette guerre sous l'oeil des drones, des avions de surveillance et des satellites est une guerre qui ne permet pas la concentration de colonnes d'assaut. Faire un cessez-le(-feu aujourd'hui - ou le Qinze Août - reviendrait à frustrer l'armée russe de sa victoire évidente. Il n'est pas certain que Poutine aura la puissance pour résister à son armée victorieuse.

Mais, la situation de la Russie n'est pas très bonne, du moins pas aussi bonne que les nouvelles de la guerre permettent de le croire. La situation est mauvaise en Roumanie, en Moldavie, en Géorgie, où la corruption américaine se donne libre cours en persécutant les russophiles. Plus encore, Trump vient d'imposer un traité à l'Azebaïdjan et à l'Arménie qui, sous couvert de régler la paix entre ces deux Etats en guerre, leur impose la tutelle commerciale américaine remplaçant la tutelle russe antérieure. Cette "paix américaine" renforce le siège américain autour de la Russie et renforce un axe turc vers l'Asie centrale tout comme Trump a créé un axe djihadiste entre la Syrie et le Yémen pour chasser la Russie du Moyen-Orient.

Par ailleurs, les ressources économiques de la Russie sont certainement plus contraintes aujourd'hui après trois ans de guerre qu'hier. La force de travail de la Russie est faible parce que la démographie en Russie est mauvaise. Elle doit compter sur des alliés nord-coréens et iraniens certainement, chinois, peut être. De plus, j'ai dit que la Russie subissait sans crainte particulière les sanctions économiques et financières de l'Occident, en fait USA et UE principalement, en y joutant CA, AU, NZ, ... C'est peut être le cas de la classe politique. Mais ce n'est peut être pas le sentiment de l'oligarchie russe, même "normalisée" par vingt-cinq ans de "poutinisme". De plus, même si l'effort militaire ne pèse pas beaucoup sur les "conscrits", cet effort tend la société russe depuis presque quatre années. Beaucoup de russophiles "pas trop poutiniens" lui reprochent de faire traîner la guerre et partant de l'aggraver vers une conflagration mondiale.

Très certainement, Poutine joue sur une géopolitique du "aller loin, mais pas trop" ... Devant la stupidité du joueur de poker qui joue sa partie en vingt secondes, le russe développe le noble jeu d'échec pendant des heures. Que l'occident "pokérisé" ne se plaigne pas trop ... Le chinois développe le jeu de go pendant des jours ... Ceci dit, la réunion avec Trump pourrait être l'occasion pour Poutine de cesser une guerre qui ne dit pas son nom - les russes l'appellent une opération militaire spéciale ... - et qui, partant, n'a pas forcément besoin d'un "vaincu" et peut être pas de "vainqueur" ...

Du coup, Trump pourrait être intéressé de ne pas "perdre" la guerre en Ukraine et peut être d'offrir à Zelinsky de ne pas défiler, chargé de chaînes, dans le triomphe du vanqueur ... A priori, Poutine se moque d'être le "vainqueur" ... il n'attend pas de ré-élection d'un succès "militaire".

Par ailleurs, Trump qui est un très vulgaire milliardaire comme il y en a des centaines en Occident, est de plus en plus nettement un négociateur commercial de la plus brutale expression. Or, Poutine, l'élu du World Economic Forum, se trouve ne pas être dénué d'intérêts commerciaux. Et plus si affinités. Du coup, si on ne parlait pas trop du Donbass en Alaska, çà arrangerait tout le monde de parler surtout énergies, terres rares, minerais divers, routes commerciales, ... Trump a acheté les terres rares ukrainiennes que Poutine possède ... et que Zelinsky doit aux Anglais ... Trump a imposé à l'UE 600 billions de dollars d'achat de pétrole. Il pourrait en redonner quelques uns à Poutine ...

4 - Le résultat de la réunion en Alaska

Pour résumer la situation on pourrait dire que si on parle Donbass, la réunion ne débouchera probablement sur rien.

Par contre, si on parle d'autre chose, .... Allez savoir ! Quitte à recommencer la guerre contre la Russie dans quelques années. Sur plusieurs fronts : Kaliningrad, Moldavie-Roumanie, Géorgie-Arménie, ... Et en attendant, "marier" les ukrainiens vaincus aux djihadistes de la CIA réorientés du Proche-Orient à l'Asie centrale ... Contre la Russie. C'est la grande constante de la géopolitique américaine.


Revue C-Politix (c) 10 août 2025