Observations sur la thèse stratégique d'une prise russe de Odessat

Philippe Brindet - 08 Décembre 2025

John Mearsheimer défend la thèse adverse aux néocons occidentaux. Il estime que cette stratégie de "containment" de la Russie, terme qui dissimule une prise de contrôle de la Russie par les occidentaux, est vouée à l'échec. Je ne suis pas assez informé de ce que Mearsheimer envisage à la place.

Evaluant la situation actuelle, Mearsheimer estime que les russes vont annexer la région d'Odessa et tout le rivage de la Mer Noire jusqu'au Danube.

Mearsheimer expose sa thèse dans une vidéo You Tube : THE FALL OF ODESSA= The End of Ukraine and the Death of US Hegemony, diffusée le 03/12/2025 - https://www.youtube.com/watch?v=pIQVwl_Q2Lc

Cette thèse est reprise à son compte par le Colonel (ret) Douglas McGregor dans une autre vidéo You Tube : THE FALL OF ODESA: The End of Ukraine and the Death of US Hegemony | Mearsheimer Strategy, diffusée le 8 décembre 2025 - https://www.youtube.com/watch?v=Rr32Q24uS90. Cette thèse a déjà été avancée par un autre professeur américain à Columbia : Jeffray Sachs, spécialiste des relations internationales et particulèrement de la Russie en mai 2025.

C'est une thèse que je soutiens depuis le début de la guerre en Ukraine. Elle n'a cependant jamais été énoncée explicitement par les russes, mais elle se comprend à l'examen de la situation stratégique. D'ailleurs, les arguments de Mearsheimer et de McGregor - d'après les deux vidéos Youtube précitées - ne dépassent pas vraiment ces "généralités" géostratégiques. Ce qui ne signifie pas qu'ils ont tort, ni que les russes vont appliquer tactiquement cette stratégie.

Pour appliquer tactiquement cette stratégie, il faudrait avoir une image claire des préparatifs militaires à une opération d'occupation de la région d'Odessa. Or, si les russes progressaient en 2022 sur la rive droite du Dniepr, au-delà de Kherson, vers MikolaÏev, il était possible d'envisager une offensive du Nord-Est vers Odessa et sa rive maritime. Or, pour des raisons tactiques, les russes à l'Hiver 2022 se sont repliés sur la rive gauche du Dniepr, perdant Kherson et la tête de pont leur permettant d'envisager une offensive terrestre sur Odessa.

Cette retraite qui a excitée les quolibets des occidentaux, a été seulement interprétée comme une preuve supplémentaire de la faiblesse militaire de la Russie. Depuis cette date, les russes n'ont d'ailleurs pas entrepris d'offensive réelle pour reprendre Kherson, sauf quelques actions notamment sur le pont géant Antonovskyy sur le Dniepr à l'Est de la ville, puis pour la reprise des îles du Dniepr face à Kherson. Une offensive terrestre russe vers Odessa a été certainement jugée impossible par les stratèges occidentaux.

Une offensive issue d'un débarquement des forces russes à Odessa ou à proximité était envisageable au début de la Guerre en Ukraine parce que les Russes avaient une maïtrise de la mer à cette époque. Depuis, les anglais ont développé - justement à Odessa - une technique de drones navals qui a contraint la flotte russe - avec les bombardements aériens par drones et missiles, à reculer sur la rive orientale de la Mer Noire. Mais, il faut se rappeler que lors des deux premières années, les russes étaient très actifs sur le rivage d'Odessa, avec des attaques nombreuses sur l'Ile aux Serpents à quelques kilomètres du port d'Odessa.

A la suite d'un hypothétique effondrement de l'armée ukrainienne dan sle Donbass, les russes pourraient estimer que les forces armées ukrainiennes seraient suffisamment affaiblies pour ne pouvoir opposer qu'une résistance limitée à une offensive vers Odessa. Un débarquement pourrait avoir lieu sur la côte à l'est d'Odessa entre Fontanka et Pridevne sur environ 25 kilomètres de plages. A l'Est, la côte est défendu par un large estuaire qui remonte de plus de 50 kilomètres vers le Nord, protégeant le débarquement d'une contre-offensive ukrainienne par l'Est. La zone de débarquement est quasiment aux portes d'Odessa - 3 kilomètres. Au nord d'Odessa, se trouvent deux énormes retenues d'eau d'orientation Nord Sud qui rendent très difficile une contre-offensive ukrainienne venant du Nord. Et le territoire à l'Ouest de Odessa est encore plus occupée par d'immenses lacs, marais, polders, ...

Un problème pourrait d'ailleurs rendre le débarquement extrêmement risqué : j'ignore si le réseau hydraulique peut être commandé par les ukrainiens pour noyer les terres où se développeraient le débarquement.russe.

L'autre offensive en provenance de Mykolaïev exige que Kherson et Mikolaïev soient repris par les Russes. La distance n'est pas considérable : 60 kilomètres. Mais les Russes devront franchir un autre fleuve le Boug méridional qui fait 1, 6 kilomètres de large au seul pont pour rejoindre l'Ouest et la route d'Odessa très au Nord de ce port. La route fait environ 35 kilomètres vers l'ouest avant de piquer au SSO pour arriver à la côte de la Mer Noire, un peu à l'Est de la zone possible de débarquement. La progression plus à l'Ouest permettrait de sauter une ou plusieurs étendues d'eau orientées Nord-Sud, décrites plus haut. Mais cela retarderait la descente vers Odessa. Plus grave il n'y a aucune route vers l'Ouest possible. Seulement des champs et des marais.Il faudrait avancer de 90 kilomètres vers l'Oues-Nord-Ouest avec une route très moyenne et et plonger au SSO pour parvenir à une langue de terre à l'entrée de Odessa.

Les deux opérations maritimes et terrestres sont envisageables, mais avec des prérequis - Capture et pacification de Mykolaïev, création d'une tête de débarquement à proximité de Odessa, probablement après la traversée vers l'Ouest. Il faut souligner l'extrême difficulté de concentrer des forces armées à proximité d'un axe d'offensive à cause des moyens d'observation aériens et spatiaux. Il faudra sûrement compléter l'opération combinée sur Odessa avec un blocage au Nord d'Odessa - à environ 100 kilomètres - d'un éventuel retour de troupes ukrainiennes ou d'autres forces occidentale. A ce sujet, l'envoi de navires de guerre de l'OTAN est loin d'être impossible pour "défendre" Odessa.

En effet, les "plans" américains passent certainement - à la conclusion de la paix américaine - par une extraction de richesses agricoles et minières de l'Ukraine américanisée et leur évacuation par le port d'Odessa. Cependant, les signes d'une intervention "directe" américaine se sont estompés avec les décisions de Trump. Par contre, il est certain que les Britanniques sont militairement installés à Odessa. La présence des Français n'est pas certaine, mais très possible. La "coalition des volontaires", avec la bénédiction de Trump, pourrait déclarer Odessa sous la protection de l'OTAN ou d'une autre entité ad hoc, et résister à l'offensive russe.

Dans les circonstances d'aujourd'hui, on peu partager l'idée de l'importance stratégique pour la Russie d'occuper, puis d'annexer Odessa. Mais, les conditions pour l'exécuter sont loin d'être réunies.






Revue C-Politix (c) 8 Décembre 2025