Quelques observations sur la vague technophile de l'intelligence artificielle
Philippe Brindet - 01/12/2025
L'intelligence artificielle qui vient d'être diffusée largement il y a un an environ suscite beaucoup de réactions contrastées. D'abord des réactions enthousiastes de deux publics : les étudiants et les entrepreneurs. Les premiers parce que ces outils permettent de rédiger à leur place les travaux les plus difficiles comme les plus fastidieux au grand désespoir de leurs enseignants. Les seconds parce que les outils d'IA leur permettent de supprimer du personnel tout aussi désolés que les enseignants. Ensuite des réactions critiques de deux publics. D'abord le public techniquement conservateur. Ils ont détesté l'ordinateur personnel, le téléphone portable, les mails, ... Ils détestent les agents IA. A terme, ils seront des pratiquants enthousiastes, d'abord sans l'avouer, puis en jouant les convaincus de la première heure.
L'autre public, de plus en plus restreint, comporte les intellectuels encore dans l'usage de leurs facultés critiques.
Je ne suis pas un enseignant, ni un étudiant. Je ne suis ni un entrepreneur, ni un employé. Je ne suis pas un conservateur technicien, ayant toute ma vie oeuvré dans la recherche-développement. Et je suggère que je ne suis pas non plus un intellectuel ...
Le problème de l'intelligence
Nous n'épuiserons pas le sujet ... Je voudrais souligner deux choses. La première, c'est que l'intelligence a besoin du raisonnement pour opérer. Or, le raisonnement de l'intelligence artificielle qui est aujourd'hui utilisée est basé sur un simple outil de classification constitué largement par des formes prédéterminées, programmées dans la machine d'IA et, pour le surplus, par une accumulation de données. On parle d'intelligence artificielle générative. A la différence, mes travaux de recherche à la fin des années 80 avaient portés sur une intelligence artificielle qui séparait les données - les bases de faits - des outils de raisonnement - les moteurs d'inférence. Aujourd'hui, on ne peut pas affirmer que les LLM soient des agents privés de raisonnement. Mais leurs capacités de ce point de vue sont limitées. Très limitées. Cette critique est développée par exemple par l'un des "tsars" de l'intelligence artificielle générative, Yann Le Cun.
Il y a ensuite une autre analyse de l'intelligence. Elle constate la compétition entre le langage et la faculté de penser. La machine n'a aucune faculté de penser propre qui ne lui soit conférée par les gens qui activent les outils d'IA. Par contre, les prouesses des machines IA générative au niveau du langage sont absolument confondantes. Les machines d'IA ne flinguent pas, mais elles causent ... On ne peut pas les en empêcher.
Toute la question est de savoir si notre civilisation a encore besoin de penser. Je sais bien qu'il faudrait encore que nous soyons dans une civilisation ... Mais je ne veux pas dévier trop vite. Je remarque que les enseignants tout comme les entrepreneurs ne veulent absolument pas que les étudiants pour les uns, les employés pour les autres, raisonnent. Ils doivent se contenter pour les premiers d'absorber du savoir - mais filtré, digéré - et d'exécuter des tâches préconçues pour les seconds. Pas de critique, pas d'initiative ? Surtout pas. Merci. Et pour les enseignants et les entrepreneurs, l'intelligence artificielle générative est une trouvaille sans égale qui leur permet d"éliminer les étudiants et les employés.
Par contre, pour les étudiants et les employés, c'est la fin de l'accès à la culture pour les premiers et à l'autonomie créatrice pour les seconds, même quand elle semble très réduite pour les plus humbles. A terme très bref, il n'y aura plus aucun étudiant et plus aucun employé. Mais, les hommes désoeuvrés seront conduits à ré-inventer une civilisation de l'intelligence humaine, avec des écoles d'une part et des entreprises d'autre part. tandis que les anciennes universités et les anciennes entreprises tourneront dans le vide intersidéral du néant de l'intelligence artificielle. Néant dans lequel nous sommes entrés sans pouvoir en sortir.
Mon expérience des outils d'IA
Depuis l'an dernier environ, j'ai eu accès aux outils gratuits d'Intelligence artificielle générative. Nommément ChatGPT d'abord, Copilot en plus. Je me limiterai à un bref résumé d'expérience.
J'ai d'abord testé ces outils dans les limites des opinions : histoire, politique, religions, faits de société, ... Mon expérience a été explosive. Très vite, je me suis aperçu que les "discussions" avec les machines tournaient à l'endoctrinement. Les machines me répondaient fort courtoisement, mais avec le ton sentencieux d'un petit prof' d'une université de province parlant avec un "première année" un peu obtus ... Et avec la mauvaise foi d'un convaincu du progressisme "woke", cet amalgame du vieux progressisme socialiste du XX° siècle et du "wokisme' du XXI° : mythe du progrès, réchauffement climatique, immigration, racialisme, genrisme, ....
Très bêtement, je me suis fâché et j'ai compromis mon "profil utilisateur" pour les siècles à venir, en disputant avec les machines d'IA. J'ai d'abord cru que j'allais me faire interdire sur la machine ... Mais pas du tout. Mon accès a toujours été ouvert et, au bout d'un certain temps, je me suis aperçu que la machine répondait à mes interventions d'une manière qui me convenait de mieux en mieux ! L'IA générative retenait bien entendu mon profil utilisateur et tentait de répondre d'une manière qui, au moins à première vue, devait me satisfaire. J'ai donc cessé de "causer" avec l'IA générative ...
J'ai alors complètement changé de mode d'utilisation des machines d'IA générative. Ou plutôt j'ai changé de sujets. J'ai posé des questions et des problèmes du domaine technique : programmation informatique, électronique, mécanique, thermodynamique, ... Les réponses sont étonnantes. Très souvent, elles sont très satisfaisantes et si vous êtes mécontent, il suffit de l'exprimer correctement et l'IA corrige ou modifie son analyse. De lectures d'autres expériences, j'ai cru comprendre - ce que je n'ai pas étudié - qu'il était possible de configurer la machine d'IA générative pour qu'elle réponde dans un cadre adapté à l'utilisateur.
Très brièvement, je dirais que ces expériences limitées m'ont démontrées qu'il était certainement possible de mener à bien des projets de développement technique, même assez complexes, sans l'assistance d'aucun humain. Je comprends qu'il est parfaitement possible de développer des projets techniques sans le concours d'aucun employé. J'avais connu la firme sans usine. L'IA générative permet de passer au laboratoire ou au bureau d'études sans ingénieur. Un succès ...
L'impact sur la société professionnelle
Très clairement, la plupart des professions intellectuelles qui traitent des données et produisent d'autres données sont destinées à l'éradication totale. Celles qui doivent prélever elles-mêmes les données seront encore protégées. Symétriquement, les professions qui depuis des données doivent exécuter des actions exigeant des capacités humaines, essentiellement manuelles, sont encore protégées. Sauf, que l'alliance de la machine d'IA générative et du robot - humanoïde notamment - mettra un terme définitif à ces professions aussi.
L'effet d'une société sans médecins, sans pharmaciens, sans ingénieurs, sans avocats, sans juges, sans "commerciaux", sans vendeurs, sans ... sera de constituer une société de gens sans revenus. Mais aussi, sans activité ...
L'idée d'une société de la paresse ou du loisir ne résiste pas à la moindre analyse critique ... La société de l'assistanat d'Etat qui permettrait à chaque citoyen de percevoir une subvention de l'Etat conduit à une tyrannie sans nom. Il n'y a pas d'autre société possible. Et la tyrannie pourrait s'établir avec la disparition de la culture obtenue justement par l'accès de l'ensemble des humains et des étudiants à l'aide de l'IA. Sans esprit critique, sans initiative, la tyrannie a la place libre.
Une rétroaction limitante
Que la vague de l'IA générative soit en train de tout emporter sur son passage est un fait incontestable. Mais, cette irrésistibilité n'est validée que si on limite sa perception à la seule technique de l'IA générative. Si on élargit un peu le champ d'analyse, on peut déjà apercevoir des actions qui vont limiter la puissance de la vague.
La technique de l'IA générative a besoin d'au moins quatre sources pour se développer :
- Une masse de données toujours plus importante ;
- Des composants électroniques de plus en plus nombreux et difficiles à produire
- De plus en plus d'énergie électrique ;
- De plus en plus d'eau pour refroidir les machines d'IA
Déjà, l'accès aux données est de plus en plus contesté par ceux qui les détiennent. C'est le cas par exemple des éditeurs de contenus écrits ou audiovisuels qui exigent des compensations et qui déjà mettent en oeuvre des technques pour mettre à l'abri l'or de leus données. Cet accès de plus en plus difficile sera une première réaction limitante de la vague de l'IA générative. Le même accès aux composants microélectroniques se réduit de plus en plus vite. Il faudra passer à d'autres etchniques comme des composants optiques, biochimiques ou quantiques pour espérer avancer. Et la rareté de leur production les rendra difficile d'application à l'IA. De plus, alors que le cerveau humain réclame quelques dizaines de watts de puissanc eélectrique pour focntionner, les machines d'IA génératicve sonsomment des quantittés faramineuses d'énergie électrique pour leur fonctionement. Une seule machine consomme autant qu'une ville américaine de taille moyenne. Il n'y a pas assez de sources de production d'électricité pour répondre à la demande des machines d'IA. Troisième facteur de limitation. Et enfin, le même problème se pose avec la disponibilité de l'eau de refroidissement des machines d'IA générative.
Quatre facteurs de limitation de l'IA générative. Et il y en a encore d'autres. Un autre facteur notable réside dans la réduction des capacités d'emploi de l'IA générative. Si grâce à l'IA générative, les hommes n'ont plus besoin d'étudier les sciences, ils ne seront plus capables d'interroger l'IA générative ni de lui exprimer leurs besoins. Pire encore. Les hommes ne seront plus capables d'utiliser les réponses de l'IA générative. Elle ne leur sera plus alors d'aucune utilité et sera anéantie.
Ne voilà t'il pas un avenir "chatoyant" ?
Non, la société qui se développe avec l'Intelligence n'est pas souhaitable. L'intelligence artificielle générative non plus. Or, la technophilie est un piège qui attire de nombreux hommes ou bien qu'ils soient ignorants de la technique ou bien qu'ils soient des bénéficiaires ébahis de ses apports. Ne vous laissez pas attirer par le "pot de miel" de l'IA. En conservant les acquis de la société humaine, il sera possible de développer une société nouvelle hors du néant de l'IA. Pourquoi pas avec l'aide de l'IA ?
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