2021 - 200

Philippe Brindet - 5 Mai 2021

Il y a deux cents ans mourait Napoléon Empereur des Français déchu, capturé lâchement par l'"Anglois", et détenu par la "perfide Albion".

Le bicentenaire de sa mort a surtout été le lieu d'une polémique : savoir s'il fallait ou non célébrer cet anniversaire. Ceux qui protestaient contre la célébration, agitaient vainement le spectre de la tyrannie, les autres tentaient de rallumer les flambeaux de la grandeur de la France. Tout aussi vainement.

Une gloire éteinte ne se rallume pas. Du reste, malgré les protestations, la présidence de la République a décidé de marquer la journée du 5 mai 2021 - le jour anniversaire - par une commémoration et - souligne l'Elysée - pas par une célébration. Y'a comme un défaut ...

Reste le problème de la tyrannie napoléonnienne. Il semble que, hors de France, la tyrannie napoléonienne ne fasse pas l'ombre d'un doute. J'y reviendrai. En France, deux mouvances concourent à pérenniser la flétrissure de la tyrannie : l'anti-militarisme primitif et le républicanisme barbare.

Nul n'ignore que Bonaparte est devenu "Napoléon" par un coup d'Etat militaire. Peu importe que ce soit contre l'un des Etats les plus corrompus de l'Histoire de France, les antimilitaristes accusent le général Bonaparte de s'être révolté contre son statut de serviteur de l'Etat en ruinant .... allez, disons l'état de droit, c'est à la mode ! L'ennui, c'est qu'il ne vient à l'idée d'aucun de ces anti-militaristes de poursuivre de Gaulle pour rebellion contre l'Etat de droit en 1940. Allez savoir pourquoi ...

Les républicanistes eux, lui reprochent d'avoir détruit la République issue de la Révolution. C'est vrai, Bonaparte ne supportait pas les terroristes. Mais, il ne supportait pas mieux les royalistes, qu'il n'a pas hésité à écraser au canon en plein Paris. Il ne supportait pas non plus la canaille révolutionnaire qui remplissait de notre sang les caniveaux des rues de nos villes. Toujours est-il que, par son accès au Consulat, il transforme la République en une dictature et en prenant le titre d'Empereur des Français, il instaure la tyrannie sur les ruines encore fumantes de la Révolution. Ruines que ni Bonaparte, ni Napoléon n'ont causées. Au contraire. En fait, ces ruines sont l'oeuvre de la Révolution elle-même qui, après avoir détruit la monarchie millénaire, s'est détruite elle-même dans sa folie.

Napoléon anti-républicain ? C'est vrai et faux à la fois. La moitié du personnel napoléonien est jacobin, l'autre moitié est monarchiste. Et les institutions napoléonniennes sont à la fois monarchistes et révolutionnaires. Une part immense de la grandeur de Napoléon vient de son génie quand il réalise une forme de synthèse de deux contraires : la monarchie et la révolution. Et il l'a pu parce que la révolution n'a pas été une véritable rupture avec l'Ancien Régime. Tocqueville l'a montré définitivement. Et aussi Friedrich Engels. Mais Napoléon a eu le génie de trouver cette parenté, malgré la responsabilité sanguinaire de la Révolution et l'aveuglement irresponsable de la Monarchie.

Il faut seulement reconnaître que cette "synthèse" a juste été un peu forcée par la dictature napoléonnienne, et qu'il a exercé sa dictature comme un tyran. Mais, un tyran qui a apporté des institutions sur lesquelles nous vivons encore : le Parlement, la Justice, la Police, l'Université, l'Armée, la bureaucratie. Et De Gaulle doit beaucoup au bonapartisme. Donc la Constitution de la V° République.

Tyran ? Oui, Napoléon l'a été. Quand, lors de la campagne de France en 1814, le général Digeon qui commandait l'artillerie sur le champ de bataille de Montmirail, a laissé ses canons sans approvisionnement, il l'a fait fusiller le soir même. Mais quand un an plus tard, Napoléon revient de l'Ile d'Elbe, son premier exil, et remontant "de clocher en clocher" de Fréjus à Paris, il découvre qu'il a échoué à construire la grandeur de la France parce qu'il a trahi la République et son idéal. Et c'est conscient qu'il ne libérera la France de l'occupation étrangère, autrichienne et russe, qu'en se reportant sur le peuple de la République. Cent-Jours ont passé et il a définitivement perdu. La suite du bonapartisme est essentiellement républicain. Même s'il a définitivement perdu.

Mais à l'étranger, on n'a pas de ces arguties. Napoléon est vu comme un tyran sanguinaire et sans vergogne. Les Italiens le voient comme un pillard et les Russes comme un monstre qu'ils sont parvenus à écraser. Il ne faudrait pas l'oublier. Deux immenses écrivains russes ont inscrite cette condamnation définitive de Napoléon au Tribunal de l'humanité : Tolstoï - lire Guerre et Paix - et Dostoïevski.

Dans Crime et Châtiment, le héros du roman, Raskolnikov, plongé dans la misère, cultive sa frustration en contemplant la monstruosité de Napoléon capable d'un trait de plume de massacrer des millions d'hommes. Examinant la monstruosité d'une vieille usurière qui le tient en son pouvoir, Raskolnikov met en balance la gloire de Napoléon, pourtant massacreur de l'humanité, et sa propre libération de l'emprise de l'usurière. Par l'assassinat. Comme Napoléon.. De Napoléon, il ne sera plus question. Raskolnikov massacrera la vieille et marchera vers l'expiation qui sera son Ile de Sainte-Hélène. Les tyrans meurent aussi. Doivent-ils expier encore ?





Revue C-Politix
(c) 5 mai 2021