Quelques aspects du conservatisme français

Philippe Brindet - 19 Juillet 2022

Les mots deviennent difficiles à choisir. Capitalisme, libéralisme, droite, conservatisme, ... Tous ces mots qui étaient souvent proches du moins dans les discours, se sont épuisés à tourner en rond et la réalité les a quitté. D'autant qu'ils ont été rejoints par des mots qui, autrefois, en étaient éloignés et qui eux aussi se sont mis à tourner en rond : marxisme, socialisme, progressisme, gauche, ... Tout cela s'est mélangé comme attiré par un trou noir, un tourbillon destructeur.

Que s'est-il passé qui fait passer un ministre socialiste pour un président libéral et un président libéral pour un militant socialiste ?

La décadence de la République

La République pour les parisiens est une place célèbre, souvent point de ralliement de manifestations qui gênent considérablement leur vie quotidienne. Pour les autres, ce n'est rien. C'est pourtant le véritable régime politique de la France et de la plupart des Etats dans le monde. Le problème de la France c'est que sa Constitution a ajouté à la République quatre qualificatifs, certainement louables, mais qui ont surtout permis d'"oublier" la République. Selon la Constitution de la V° République, la république est indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle est en pratique, et parfois, parlementaire. Mais elle est surtout présidentielle, c'est-à-dire qu'elle dépend d'un homme fort : le président.

Or pour être une république, il est nécessaire que la France et le président de la République se soient accordés sur ce qu'est la République. En étant un peu rapide, on peut estimer que de De Gaulle à Mitterrand, il y eut un certain accord entre le président et les citoyens. Ou un désaccord, et dans ce temps-là, à peu près, les institutions républicaines : élections, exécutif, parlement, tribunaux, ... résolvaient les conflits et constataient les accords. Mais, depuis cinquante ans et plus, la plupart des citoyens et des présidents français ont été acquis et ont adoptés de nombreux abandons de souveraineté, notamment au bénéfice :

  • de la construction européenne, d'une part et
  • de la construction atlantiste, d'autre part,
  • abandons qui, tous étaient des atteintes à la République.

    Et de fait, la République est en décadence, pas seulement en tant qu'elle est la France, mais en tant qu'elle est un régime politique dans lequel les affaires publiques sont menées selon un principe de bien public. Or, surtout depuis une quinzaine d'années, les affaires publiques sont devenues des affaires privées - gérées par des cabinets de consultants américains comme le cabinet McKinsey - tandis que l'idée même d'un "bien public" est ignorée. Les institutions de la République, parlement, partis, administration, gouvernement devienent théâtrales, et le président de la république lui-même un simple acteur amateur. Dans cet Etat, les idées de droite ou de gauche, de libéralisme ou de socialisme, ont perdues toute pertinence. Ou presque. Et de ce fait, l'idée d'un bien public ou d'un mal public. Et donc même d'une idée politique.

    A la place s'épanouit un système de corruption générale. Corruption des idées, Corruption des meoeurs politiques, Corruption des politiciens,. Tout cela n'est pas bon.

    La décadence de la philosophie politique

    Deux idées politiques se sont rencontrées sur un vieux mouvement de l'histoire : le progressisme. La première idée politique qui a occupée ce mouvement a été le socialisme. Puis très vite, cette idée politique a été rejointe par une autre : le libéralisme. Le socialisme s'est essoufflé dans des aventures allant du douteux batifolage au crime contre l'humanité. Le libéralisme a peut être gardé son souffle. Mais il a vidé la politique de toute vitalité. Parce qu'il a remplacé le bien public qui fait le moteur de la politique par les intérêts privés et à cause de cela, les idées politiques se sont perverties.

    De fait, il n'y a plus de pensée politique, j'en suis désolé pour les politologues qui resteront d'ailleurs tranquillement indifférents à mes remontrances. De la pensée politique que reste t'il ? Quelques historiens de la philosophie politique qui tentent souvent de repeindre le naufrage contemporain avec les couleurs des temps fameux. Mais, il n'y a plus un politicien qui accepte de porter une idée politique, comme si c'était de déclamer du Victor Hugo au bistrot. On ne parle que de quotas, de taux d'intérêt ou encore de pouvoir d'achat et de taux de chômage.

    Or, si on ne discute pas d'idées politiques, si on ne débat pas du bien public, quelle peut être la démocratie dans une république ? Quelle peut être la république dans une nation ?

    L'économisme

    La réponse à la question précédente est connue : on parle d'économie. Au lieu de politique, on fait de l'économisme qui, comme "chacun" sait, se fait, mais ne se discute pas ! L'un des facteurs décisifs de la décadence de la politique et donc de la République, c'est l'économisme, ce gloubi-glouba de théories rejetées à chaque génération d'économistes et qu'appliquent des gens ignares, incapables de comprendre que le seul rôle de ces théories est de débattre entre économistes ...

    Et il n'est pas d'homme politique ou de femme politique qui n'ait sa théorie sur l'inflation, le plein emploi, les taux d'intérêt, la croissance, ... Si les politiciens singeaient les économistes, ce serait un passe-temps innocent de leur part. Mais le drame de la République, c'est que ces politiciens exigent d'appliquer - ici et maintenant - les lubies "économistes" qu'ils ont tirées de savants articles auxquels ils n'ont rien compris.

    Et la situation empire quand, paniqués par le chaos que génèrent leurs idées, ils appellent à leur secours des experts ! Tous économistes des meilleures universités. Chacun doté d'un palmarès fameux. Ces "experts" se piquent au jeu de la mise en pratique. Et, encore plus ignorants en politique que leurs politiciens en économie, ils "appliquent" ce qu'ils savent à des choses qu'ils ignorent complètement.

    Le résultat est connu : la "Crise". La crise, partout et toujours ... En Economie. En Politique, ce n'est même pas la peine d'en parler. Il n'y en a plus. Elle a été remplacée par un contrôle social qui sanctionne les gens en fonction des obligations que les politiciens leur imposent - pour leur bien et parce que la "Science" l'impose - et pour l'attribution de "droits" révocables à tout instant.

    La Caste

    Surtout en occident, il est apparu dans les vingt dernières années quelque chose qu'on n'a jamais observé dans l'Histoire : la Caste.

    Au XX° siècle, les fortunes étaient parfois imposantes - et souvent imposées ... - mais elles restaient relativement modestes rapportées à la puissance de l'Etat auquel ces riches appartenaient. De plus, aucun d'eux ne s'imposait vraiment - sauf peut être en temps de crise et particulièrement face à un Etat endetté - devant l'autorité de l'Etat. Constamment critiqués par les socialistes -par les marxistes notamment - les grands capitalistes observaient une certaine réserve relativement à la politique qui, parfois d'ailleurs, faisait peser de lourdes impositions sur leurs biens.

    Or, à partir de la fin du XX° siècle, plusieurs personnalités se mirent à amasser des fortunes absolument invraisemblables qu'on est bien en peine de chiffrer. Les classements que publient la presse people ont leur intérêt. Mais ils donnent une image pâle de la vraie fortune de ces hyper--milliardaires. Certains flambent leur fortune avec des yachts immenses, des villas ou des îles d'un luxe de rêve. Il faut noter que l'un des facteurs de leur richesse inégalée dans l'Histoire est aussi une conséquence de la mondialisation qui les a pratiquement affranchis de l'autorité de l'Etat de leur nationalité. Mais hélas, plusieurs d'entre eux se sont aperçus que la décadence de la politique, la décadence de l'Etat un peu partout - en occident notamment - leur ouvrait une voie royale vers la domination du monde. Et leur domination politique totale est en marche. C'est la seule qui le soit.

    Plusieurs noms sont à citer : Georges Soros, Bill Gates. Ils ont - chacun de son côté - initiés des mouvements de prise de contrôle de la société. Soros influence par exemple la nomination des juges un peu partout en occident. Gates contrôle la politique sanitaire et alimentaire notamment parce qu'il est propriétaire d'organisations internationales comme l'OMS. Ces deux "pionniers" ont été rejoints par beaucoup de grandes fortunes. Le drame est que ces hyper-milliardaires se mettent à coopérer entre eux. Jusqu'à former une Caste qui tend à prendre le contrôle politique de l'Occident au moins.

    Pourquoi la Caste rechercherait-elle un contrôle absolu de la politique ?

    La première raison est qu'un tel contrôle leur permet d'empêcher que les Etats viennent gêner l'accroissement de leurs fortunes ou favoriser une réduction de celles-ci. Mais, cette première raison, les grandes fortunes des XIX° et XX° siècle l'avaient déjà et ils avaient bâtis un certain contrôle essentiellement par la corrup^tion des politiciens et de leurs fonctionnaires. La Caste ne se prive certainement pas de ce moyen..

    La deuxième raison tient à ce que, la plupart des hyper-riches, du moins ceux qui s'agglomèrent en Caste, ont une prétention "à penser le monde" tel qu'il sera. Il ya chez tous ces gens une confiance aveugle en leurs intelligences. Ainsi, Soros est persuadé être l'héritier du philosophe Karl Popper. Gates est persuadé qu'il "contribue à sauver la planète" sur des motifs progressistes qui le conduisent à chercher à éliminer les trois-quart qu'ils estiment "inutiles", de l'humanité. Or, l'ignorance et la stupidité de ces hyper-milliardaires s'étalent à longueur de médias qu'ils ont acheté et qui chantent sans vergogne leur louange. Et, les "braves gens", ébahis des richesses de ces hyper-milliardaires, attribuent leur succès à leurs intelligences. Or, ce que les hyper-milliardaires désignent comme leur succès est seulement le fruit de leurs rapines. Ces hyper-milliardaires, seuls ou en Caste, constituent donc un immense péril pour l'humanité.

    Bien entendu, ils estiment en général que seul leur "avis" compte et - s'ils émettent de vagues borborygmes à sonorités démocrates, c'est qu'ils savent contrôler l'opinion et même contrôler les individus en masse. Ils sont donc eux aussi largement responsable de la décadence et de la république et de la démocratie.

    L'erreur de Zemmour

    Dans ce paysage politique et d'année en année, les élections sombrent partout dans une morosité toujours plus redoutable. En France, lors des élections présidentielles de 2022, a surgi un curieux personnage qu'on ne présente pas, en France du moins : Eric Zemmour. Politologue, il a depuis longtemps une analyse très critique de la politique française. Cependant, par moments, on en vient à se demander s'il sait qu'il existe d'autres Etats dans le monde tellement il reste obnubilé sur ce qu'il appelle la nation française. Certains opposent - à tort, mais le moyen de les en dissuader - que le nationalisme de Zemmour l'exclue de la République. Ne termine t'il pas ses discours électoraux par "Vive la République ! Mais surtout, vive la France !".

    Pour Zemmour, tout le problème politique vient de ce que les politiciens depuis cinquante ans oeuvrent pour que la France ne soit plus la France. La formule est vague, mais frappante. Gaullienne a t'on même dit. Et Zemmour est parvenu à animer une campagne présidentielle un peu tonique. La raison pour laquelle la France ne serait plus la France tiendrait à ce que les politiciens ont favorisé et organisé une immigration massive qui détruit l'esprit même de la France, ses coutumes, et son peuple. Sur ce thème ou à peu près, Zemmour parvient à rallier les 2/3 des sondés et ... 7% des électeurs.

    Malgré tout, effrayés du nombre d'idées que Zemmour agitait dans son sens et qui ralliaient au moins la" droite" qui d'un coup s'y retrouvait, les politiciens ont calomniés son côté intellectuel, son aspect historien, analyste même. Et ils se sont précipités sur leur fonds de commerce : l'économisme (lire plus haut). Et le plus "économiste" de tous, le "vieux banquier" Macron a facilement triomphé.

    Zemmour s'est donc trompé. Il a cependant porté le débat politique au niveau des idées politiques rejetant sans le dire l'"économisme" ambiant. Il a d'ailleurs fini par s'y tourner. Le moyen de faire autrement ! Mais il s'est trompé parce qu'il a tout axé sur un problème secondaire : l'immigration. Dont de plus les gens circonvenus par les média progressistes savent qu'il s'agit d'un totem et d'un tabou ! Mais tout tabou que l'immigration soit dans nos régimes progressistes et plus du tout républicains, elle n'est jamais que l'un des problèmes et peut être le moins grave de tous.

    Zemmour a évité de contester la dramatique politique sanitaire, soulignant qu'il portait le masque, respectait les confinement et se faisait vacciner ... Il a été incapable de porter la contestation contre la politique sanitaire !

    Zemmour a évité de contester la politique climatiste - le développement durable - protestant qu'il "croyait au réchauffement climatique" et se bornant à se féliciter "du parc électro-nucléaire de la France qui nous porte au premier rang des nations" méritantes du "réchauffisme". Il a été incapable de porter la contestation de la politique décroissantiste !

    Zemmour a vu le danger qui menace la France historique qu'il aime. Mais il n'a pas vu la décadence de l'institution républicaine même. Ses adversaires qui exploitent sans vergogne cette décadence ne l'ont bien sûr pas mieux compris.

    Zemmour est resté complètement étranger au débat sur la toxicité d'organisations internationales, européistes, atlantistes ou mondialistes qu'il semble complètement ignorer.

    Zemmour est resté complètement étranger au débat sur les machinations de la Caste des hyper-millliardaires, probablement berné par l'apparence de puissance des Etats occidentaux, Etats-Unis loin devant.

    Il n'a même pas su travailler sur le scandale du remplacement de la fonction publique par les cabinets de conseils privés, la sous-estimée affaire McKinsey. Critiquer l'immigration n'a de sens que si on pointe l'ensemble des problèmes et qu'on leur attribue une hiérarchie pour présenter un projet politique de lutte contre les pouvoirs qui détruisent la république. Zemmour ne l'a pas voulu. Personne d'autre ne l'a voulu alors que le peuple le veut.

    Mais, après tout, Zemmour n'est qu'un moment dans le conservatisme français.

    Les hésitations de Wauquiez

    Laurent Wauquiez est presque tout le contraire de Zemmour. Politicein de formation, i est un LR de base. Il en a même été président. Président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, il n'a pas joué de rôle - visible - lors de la présidentielle 2022, ni des législatives qui ont suivies. Tout ce que l'on sait, c'est qu'il n'a pas vraiment soutenu la catastrophique candidate LR à la présidentielle. Avec Eric Ciotti, Laurent Wauquiez est cependant "suspecté" d'être un LR Zemmour-compatible, ce qui est un soupçon assez grave pour exiger un retrait. Position qu'a accepté Wauquiez.

    Il est impossible de déterminer sa position politique sur un quelconque problème de l'heure. Décadence de la République ? Pas vu. Immigration ? On ignore. Politique sanitaire ? On ignore. Politique décroissantiste ? On ignore. Position face à la montée de la Caste ? On ignore. Wauquiez est donc un véritable politicien conservateur. On ignore tout de ce qu'il pense. Et les gens épris de politique de louer cette ignorance : la politique n'est pas l'art de dire ce que l'on pense, mais de faire ce que l'on veut que les autres ignorent.



    Entre débat mal engagé et projet politique inconnu, le conservatisme français a de beaux jours devant lui ... dans le camp de l'adversaire !


    Revue C-Politix
    (c) 19 Juillet 2022