Castex a encore tenté de frapper la liberté avec un décret contre les médecins

Philippe Brindet - 29 Décembre 2020

Une première modification "cosmétique" du code de la santé publique ?

Le Code de la Santé Publique contient un article :

Article R4127-13

Lorsque le médecin participe à une action d'information du public de caractère éducatif et sanitaire, quel qu'en soit le moyen de diffusion, il doit ne faire état que de données confirmées, faire preuve de prudence et avoir le souci des répercussions de ses propos auprès du public. Il doit se garder à cette occasion de toute attitude publicitaire, soit personnelle, soit en faveur des organismes où il exerce ou auxquels il prête son concours, soit en faveur d'une cause qui ne soit pas d'intérêt général.

Version datant du 8 Aout 2004 (voir https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000006912874/2004-08-08/) encore en vigueur le 29 Décembre 2020.

Le Décret n° 2020-1662 du 22 décembre 2020 portant modification du code de déontologie des médecins et relatif à leur communication professionnelle [1] dispose à la place :

Art. R. 4127-13.-Lorsque le médecin participe à une action d'information du public à caractère éducatif, scientifique ou sanitaire, quel qu'en soit le moyen de diffusion, il ne fait état que de données confirmées, fait preuve de prudence et a le souci des répercussions de ses propos auprès du public. Il ne vise pas à tirer profit de son intervention dans le cadre de son activité professionnelle, ni à en faire bénéficier des organismes au sein desquels il exerce ou auxquels il prête son concours, ni à promouvoir une cause qui ne soit pas d'intérêt général. »

Les modifications de la nouvelle version sont mises en caractères gras. La nuance modificatrice échappe. Pourtant, le Code de Santé publique a été modifié. Pourquoi ?

On pourra remarquer que les deux locutions modifiées expulsent l'auxiliaire "devoir" qui fait peser une obligation réglementaire sur le médecin. Les deux verbes actifs qui le remplacent sont "faire" et "viser". Quelles sont les conséquences jurifiques - et donc judiciaires - d'une telle modification ?

Il faut bien noter que ce texte, bien qu'il soit inclu dans le Code de la Santé publique, ne concerne par les tribunaux de l'ordre judiciaire et les justiciables d'abord, mais le Conseil de l'Ordre des Médeciis et les médecins. Il s'agit donc de stipulations déontologiques qui n'ont peut être pas la force d'une obligation légilsative ou réglementaire. Tout simplement, la suppression du verbe "devoir" de l'article R4127-13 qui codifie la déontologie des médecins qui semble être la modification principale apportée par le Décret 2020-1662.

Une seconde modification du Code de la santé publique ... perverse

Le Décret n° 2020-1662 introduit une rédaction nouvelle de l'article R4127-19, lui aussi reproduisant dans le Code de la Santé Publique la charte de déontologie des médecins. La disposition encore en vigueur est depuis 2004 :

Article R4127-19

La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce.

Sont interdits tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale.

La rédaction nouvelle est définie ainsi :

2° Le second alinéa de l'article R. 4127-19 est supprimé ;
3° Après l'article R. 4127-19, sont insérés les articles R. 4127-19-1 et R. 4127-19-2 ainsi rédigés :

« Art. R. 4127-19-1.-I.-Le médecin est libre de communiquer au public, par tout moyen, y compris sur un site internet, des informations de nature à contribuer au libre choix du praticien par le patient, relatives notamment à ses compétences et pratiques professionnelles, à son parcours professionnel et aux conditions de son exercice.
« Cette communication respecte les dispositions en vigueur et les obligations déontologiques définies par la présente section. Elle est loyale et honnête, ne fait pas appel à des témoignages de tiers, ne repose pas sur des comparaisons avec d'autres médecins ou établissements et n'incite pas à un recours inutile à des actes de prévention ou de soins. Elle ne porte pas atteinte à la dignité de la profession et n'induit pas le public en erreur. « II.-Le médecin peut également, par tout moyen, y compris sur un site internet, communiquer au public ou à des professionnels de santé, à des fins éducatives ou sanitaires, des informations scientifiquement étayées sur des questions relatives à sa discipline ou à des enjeux de santé publique. Il formule ces informations avec prudence et mesure, en respectant les obligations déontologiques, et se garde de présenter comme des données acquises des hypothèses non encore confirmées.
« III.-Les communications mentionnées au présent article tiennent compte des recommandations émises par le conseil national de l'ordre.

« Art. R. 4127-19-2.-Les praticiens originaires d'autres Etats membres ...

Il semble donc que le Code de la Santé publique introduise dans la déontologie médicale une "communication" par le médecin, qui se distingue de sa participation à une action d'information du public (limitée aux considérations de l'article R.1427-13 précité). La nouvelle disposition distingue :

  • les communications du médecin destinées à aider la patientèle à choisir le médecin communiquant ;
  • les communications d'informations scientifiques destinées au public.
A nouveau, le rédacteur a évité d'utiliser le verbe "devoir", mais se voit contraint, pour chacun des deux types de communications, d'évoquer les "obligations déontologiques" que ces communications doivent respecter.

Pour faire bref, le médecin est libre de respecter les obligations déontologiques ou de communiquer au public. Comment peut-il faire les deux choses ? Le Code nouveau lui dicte la réponse : en respectant les recommandations du Conseil de l'ordre des médecins (alinéa III). On s'en serait un peu douté.

Accroissement du pouvoir dictatorial du Conseil de l'Ordre

Mais on remarque une étrange adaptation de la rédaction nouvelle aux problèmes que pose aux autorités sanitaires la forte opposition de plusieurs médecins, à commencer par les docteurs Raoult, Perronne et Delépine qui ont largement communiqué cette opposition. Et l'obligation déontologique nouvellement rédigée reprend la "justification" du grief qu'on leur a opposé et qu'ils ont opposé à leur adversaire : agiter des hypothèses non encore confirmées. La solution de ce duel consacrée par le Décret Castex se trouve dans la soumission des médecins aux recommandations du conseil de l'ordre.

Très clairement, il suffit que le conseil de l'ordre édicte une recommandation contraire à l'opinion d'un médecin communiquant des informations sciencitifiques ou sanitaires pour que ce médecin se trouve en infraction avec la déontologie. Le procédé est un peu sommaire. Mais la possibilité pour un médecin d'aller devant un tribunal de l'ordre judiciaire pour demander la révocation d'une recommandation du conseil de l'ordre paraît avoir une probabilité de succès modérée. Pour dire le mieux [3].

Dans un article [2] du 27 décembre 2020, le docteur Gérard Delépine écrit :

Le 24 décembre, jour symbolique s'il en est, il [Jean Castex] s'est attaqué à la liberté d'expression des médecins en publiant un décret modifiant l'Article R. 4127-19-1 du code de santé publique afin d'interdire aux médecins d'exprimer des opinions divergentes de la doxa officielle (celle entérinée par le conseil de l'Ordre des médecins).
article cité

J'ai d'abord estimé que le Docteur Delépine était un peu rapide et "exécutait" la réputation démocrate de notre premier ministre un peu légèrement. Après analyse. je dois reconnaître que le Docteur Delépine n'a pas vraiment tort. Et comme le Dr Delépine le souligne, cette agression suit celle du projet de loi [4] permettant au Premier Ministre de confiner qui bon lui semble quand il veut et notamment toutes les personnes non vaccinées ....

Une modification réglementaire ad hoc contre Raoult, Perrone et confrères

Si vous prenez le cas du traitement de la Covid-19 par l'hydroxychloroquine et azythromicine, ce traitement a été promu dans plusieurs vidéos YouTube animées par le Pr Raoult. Ces vidéos constituent très certainement des communications au sens de l'article R 4127-19-1, II. Or, les autorités sanitaires et le conseil de l'ordre - département des Bouches-du-Rhône, ont prétendu que ce traitement était utilisé par le Pr Raoult sans avoir effectué une étude suffisante. Cette suffisance devait prendre la forme d'un essai clinique standardisé, randomisé à double aveugle ... Or, le Pr Raoult s'est "contenté" d'études in vivo et d'essais sur un nombre limité de patients. Sur la base du nouveau code de déontologie, il est certainement sanctionnable par le conseil de l'Ordre. On se demande donc si cette modification du Code de la Santé publique ne serait pas ... ad hoc ...

Il est possible que le nouvel article du Code de la Santé publique ne s'applique pas aux faits commis avant sa promulgation (et encore ...) mais il est aussi certain que le Pr Raoult ne pourrait plus, à l'avenir, dire qu'il utilise l'HCQ et le Pr Perrone ne pourrait plus le soutenir publiquement. Dans le même temps, les laboratoires pharmaceutiques qui ne sont pas médecins, peuvent continuer à publier des "communications" sans aucune validité scientifique ou à les faire publier par la presse lourde. Sans aucune opposition, grâce au Décret Castex !

Cependant, le Décret n° 2020-1662 du 22 décembre 2020 semble avoir rencontré une sorte d'accident de parcours. Au 29 décembre 2020, chacun de ses articles est noté sur le site du JO, Légifrance, "en cours de traitement". Son sort serait-il encore discuté ou bien a t'il été réellement promulgué par sa publication au JO ?


Notes

[1] Lire Décret n° 2020-1662 du 22 décembre 2020 portant modification du code de déontologie des médecins et relatif à leur communication professionnelle.

[2] Lire Délit de blasphème médical sous contrôle inquisiteur du conseil de l'ordre des médecins ?, FranceSoir du 27 Décembre 2020.

[3] L'abrogation du second alinéa de l'article R. 4127-19 est particulièrement étonnante. Le code de déontologie, par cette abrogation permet la publicité commerciale aux médecins, notamment par aménagement des locaux ou par enseigne. C'est étonnant puisque le principe de non-commercialité subsiste. Mais en France, on n'est à l'abri d'aucune surprise.

[4] Lire notre article Castex réclame à l'Assemblée Nationale les pleins pouvoirs permanents du 22 décembre 2020.


Revue C-Politix (c) 29 Décembre 2020