De France, qu'est-ce que le wokisme ?

Philippe Brindet - 14 Avril 2024

Il faut souligner que le wokisme n'existe pas. Le marxisme, le capitalisme, le socialisme, le ...isme existent parce qu'il s'agit d'idéologies définies qui se caractérisent par deux dimensions :

  1. chaque -isme est défini par un corpus de doctrine qui le décrit et l'oppose aux autres -ismes, corpus grâce auquel on peut s'identifier ou se démarquer de chaque -isme ;
  2. chaque -isme génère au moins un groupe, progressivement plusieurs groupes souvent en opposition, qui sont une expression politique du corps doctrinal, ces groupes tentant ou bien de produire une révolution ou un événement du même genre ou bien une prise de pouvoir légale, par élection dans le cas des démocraties électives.

Les groupes d'activistes que l'on identifie au wokisme rejettent aujourd'hui le plus souvent et de manière agressive le label de "wokisme" et ils accusent leur ennemi de les "limiter" par ce vocable. Par ailleurs, il semble ne pas exister de corpus idéologique "wokiste", même si une certaine littérature, écrite en général par leurs adversaires, commence à définir le "wokisme". Il semble que les érudits font remonter le "wokisme" aux études afro-américaines des années 1950 dans les universités progressistes des Etats-Unis. Je ne vérifie pas ce fait considérable ...

J'identifie actuellement deux parcours du wokisme.

Dans le premier parcours, il s'agit pour le progressisme bourgeois, occidental et contemporain de se démarquer de l'ancien progressisme, lié à des -ismes épuisés, moribonds ou - comme le marxisme - à l'état de cadavre. Or, ce qui fondait le vieux progressisme bourgeois, c'était le mouvement des Lumières illustrées par Locke, Rousseau et Kant. Le mouvement des Lumières est essentiellement celui de l'illumination de l'esprit humain, de son jugement individuel, par la raison, un truc difficile à saisir mais qui, pour ce qui nous préoccupe, consiste essentiellement à expliquer quoique ce soit par une raison quand avant les Lumières on recourait à Dieu ou à quoi que ce soit de non rationel.

Le "wokisme" procède à un remplacement radical de la raison par un autre mouvement. Au lieu de l'"illumination" de la raison de l'ancien progressisme, le mouvement "woke" procède par l'"éveil", c'est la traduction française de l'anglais "wake". Dans ce premier parcours, ne cherchons pas à quoi s'éveille le wokiste. Le progressiste "woke" est simplement convaincu de quelque chose de "woke", une conviction qui résiste à tout questionnement, qui n'admet aucune remise en cause et qui même, exige du "woke" qu'il agisse pour que la chose qui préside à son "éveil" triomphe totalement dans le monde progressiste.

Dans le second parcours, le "wokiste" découvre l'objet de son "éveil". Il découvre que le vieux fondement de la Loi républicaine établie par la majorité viole en permanence les désirs des minoités. Le "wokisme" inverse la position politique de la majorité et de la Loi égale pour tous, en une position politique explosée où chaque minorité progressiste découvre qu'elle a le droit de satisfaire son désir. Et la Loi est ainsi remplacée par l'accumulation des droits des minorités et la majorité de la Loi par les minorités des droits.

Ainsi, connu comme "mâle" depuis votre naissance, vous éveillez votre conscience en découvrant que vous désirez devenir "femelle". Ce désir et son éveil rendent légitime votre droit de changer de genre. Vous appartenez maintenant à la minorité transgenre qui lutte pour la reconnaissance de son droit. La politique de la minorité transgenre se limite à faire reconnaître ce droit.

Très bêtement, la vieille société progressiste - qui ne comprend rien à rien - imagine qu'il s'agit d'une simple revendication de la raison. Oui, après tout, c'est idiot cette vieille manie sociale qui habitue l'individu à conserver le genre de son sexe de naissance. La chimie et la chirurgie permettent des "thérapies" épatantes et il est raisonnable, puisque c'est "scientifiquement possible", de légiférer pour accorder le droit transgenre qui devient ainsi "loi de la majorité".

Mais en faisant cela, les vieux progressistes n'ont pas remarqué deux choses. La première, c'est que la minorité transgenre se moque que son droit soit reconnu par la Loi de la majorité. Il lui suffit que la majorité se soumette à son droit. "Mon droit devient ta Loi". La manière que la majorité prend pour se soumettre au droit transgenre n'a, pour cette minorité "woke", strictement aucun intérêt. Autrement dit, la Loi, fondement de la République progressiste ancienne, est bafouée, d'autant que la majorité qui garde un semblant de raison trouve quand même étrange de faire une loi qui favorise une minorité d'individus hybrides, qui ne sont pas plus hommes que femmes, mais qui sont d'une violence sociale sans égale. Une autre chose que ne voient pas les vieux-progressistes, c'est que, dans le mouvement transgenre, il y a des diversités qui sont franchement hostiles les unes aux autres. Il y a les hommes qui veulent devenir "femme" et il y a des femmes qui veulent devenir "homme". Et il y a même des hommes devenus "femme" qui veulent devenir "homme" ... La folie totale s'est emparée de la société à la faveur de ce wokisme-là. A l'insu du plein gré du vieux progressisme de la raison raisonnante, majoritariste.

Et le "wokisme" est loin de se limiter au mouvement transgenre. Il suffit d'identifier un "désir" d'éveiller ("woke") une minorité à ce désir et le wokisme démarre. Par exemple, les femmes du féminisme du vieux-progressisme imaginent qu'elles constituent une minorité opprimée par le mâle blanc occidental. Mais aussi par les transgenres devenus femme", par exemple dans le sport ... Ces deux wokismes entrent donc en conflit entre eux et avec la "majorité" totalement désorientée et tremblant de ne pas être suffisamment "progressiste" si elle ne reconnaît pas les "woke" ...

Or des minorités "woke", il y en a des dizaines. Sur tous les sujets, dans tous les domaines. C'est l'explosion de la civilisation des Lumières ... dans un éclat de rire sardonique.


Revue C-Politix (c) 14 Avril 2024