L'affaire ukrainienne au 8 Juillet 2022 - Partie V : Les buts de guerre à brève échéance

Philippe Brindet - 8 Juillet 2022

1- Prévoir la suite de l'opération spéciale en Ukraine.

Dans l'état actuel des choses, la Russie devrait :

  1. terminer la conquête du Donbass : Républiques indépendantistes de Louhansk, de Donetsk et de Kherson ; puis,
  2. prendre l'oblast de Karkhov ; puis
  3. occuper tout le reste du littoral de la Mer Noire allant de Mykolaïev à Odessa.

Actuellement, la Russie ne peut pas se permettre d'arrêter sa conquête de territoires au moins à la fin de l'étape 1 : la sécurité des trois républiques indépendantistes devrait absolument être consolidée. Si Moscou ne parvient pas à ce résultat militaire, son opération spéciale sera certainement un échec. Actuellement, cette mise en sécurité devrait prendre au moins trois mois. Pour des raisons de profondeur de territoire, on peut se demander si les troupes russes ne devront pas sécuriser leur conquête jusqu'au Dniepr, ce qui posera alors la question de la conquête russe jusqu'aux portes de Kiev. La durée d'une telle opération dépendra si l'armée ukrainienne s'effondre par manque d'hommes d'une part, par manque de matériel d'autre part.

Sur ce dernier point, la croyance que les arsenaux américains sont inépuisables est complètement erronnée. On peut penser que l'aide américaine est actuellement près de ses limites. Et les capacités de production du complexe militaro-industriel américain ne sont plus ce qu'elles ont été. D'ailleurs, l'Amérique ne considère pas la Russie comme son ennemi principal. C'est certainement la Chine. Et cette considération fixe nécessairement des limites à l'aide matérielle à l'Ukraine.

Si l'opération spéciale de la Russie s'arrête un temps sur les trois républiques indépendantistes, une étape ultérieure serait la prise de l'oblast de Kharkov. Un problème sera alors la capacité militaire des trois républiques indépendantistes à protéger leurs territoires sans présence accrue de l'armée russe de façon à libérer ses effectifs. Dans cette hypothèse, et après l'affaiblissement de l'armée ukrainienne consécutif à la chute du Donbass, la prise de Kharkov est à envisager.

Enfin, le développement de l'opération militaire pourrait être complété par la conquête de Mykolaïev et d'Odessa, faisant perdre l'accès maritime au régime ukrainien. Actuellement peu envisageable, cette offensive serait rendue possible par l'usure de l'armée ukrainienne.

2 - Une réaction occidentale

De la part de l'Union européenne, il n'existe aucune possibilité connue d'intervention militaire. Mais, plusieurs Etats européens pourraient rejoindre le combat de l'armée ukrainienne. Le premier Etat pourrait être la Pologne. Dotée d'une armée assez puissante, elle pourrait aligner 100 à 200.000 hommes qui sont assez bien entraînés aux armes OTAN. Mais une intervention de la Pologne l'expose à une riposte russe par la Biélorussie qui serait probablement contrainte alors de s'engager à son tour dans le conflit.

L'Amérique dispose actuellement de 80.000 hommes en Europe qu'avec un pont aérien elle peut rapidement augmenter. Son entrée en guerre pourrait s'exécuter au niveau des Etats Baltes qui lui apporteraient peut être 50.000 hommes et un matériel OTAN. Mais, ouvrir un second front ne garantirait pas que l'armée ukrainienne ne pourrait pas s'effondrer. Aussi, une intervention américaine en Ukraine, depuis la Pologne et avec son concours, serait plus probable. Le problème est alors double :

  • l'armée américaine s'expose à un pilonnage massif dans l'Ouest de l'Ukraine et peut être déjà en Pologne ;
  • le risque d'ouverture d'un second front à l'initiative des Russes sur la Pologne par la Biélorussie serait encore une autre possibilité qui ne favoriserait pas l'intervention américaine.

On doit noter qu'une intervention militaire des occidentaux pourrait réveiller des revendications territoriales de la Hongrie, de la Pologne qui voit se profiler le retour de la Grande Pologne, et aussi de la Roumanie. Hongrie et Roumanie ont des populations de leurs langues nationales dans l'Ouest de l'Ukraine.

Pour toutes ces raisons, une intervention américaine n'est pas plus probable que celle de l'Union européenne. Cependant, l'impérialisme stérile des Démocrates américains, joint à l'état de santé "fatigué" de Biden, rend un "accident" majeur relativement possible. Cependant, une généralisation du conflit pourrait donner à Pékin le signal de la conquête militaire de Taïwan. Et l'alliance militaire entre Chine et la Russie pourrait trouver là une occurrence d'emploi qui serait très désagérable pour l'occident.

3 - La poursuite de l'aide militaire occidentale à l'Ukraine

C'est la prochaine étape la plus probable. Washington pourrait décider de poursuivre la fourniture d'armes encore plus performantes et assister militairement l'armée ukrainienne avec des conseillers militaires - ils sont déjà présents n'en doutons pas - et qui seraient envoyés au combat avec les Russes.

Le problème des américains, c'est que l'effort d'assistance matérielle a déjà été important : il se chiffre en 16 paquets d'aides dépassant les 50 Milliards de dollars, ce qui est beaucoup pour un front de combat de 1.000 kilomètres. Cela représente 50 millions de dollars au kilomètre ... On sait qu'une partie inconnue de ces livraisons a été revendue par les Ukrainiens qui se sont adressés même aux Russes ! Qui en profitent pour étudier les armes occidentales. Ce qui reste de l'armement fourni et qui serait quand même utilisé, semble déjà avoir dépassé son seuil d'inutilité ...

Une solution consisterait à envoyer plus de mercenaires formés aux armes OTAN. La voie a déjà été ouverte par la soi-disante Légion étrangère d'Ukraine. Les informations provenant de l'Occident sur la combativité de ces mercenaires ne sont pas fameuses. La plupart sont des anciens des guerres en Irak ou en Afghanistan. Et là-bas, c'est eux qui tiraient avec l'artillerie sur les musulmans. Alors qu'en Ukraine, ce sont les Russes musulmans qui tirent à l'artillerie lourde sur les mercenaires occidentaux qui, manifestement, n'aiment pas çà du tout ...

4 - La pression des USA sur l'Ukraine pour négocier

Dans cette situation, les Américains pourraient contraindre Zelinsky à négocier directement avec Poutine. Pour un million de dollars, l'individu est prêt à vendre l'Ukraine à qui on lui demandera. Et Poutine a déjà averti qu'il avancerait sans relâche, mais qu'il était prêt à discuter quand même. Seulement avertit-il, ce sera de plus en plus difficile avec le temps.

En particulier, si Zelinsky parvient à "geler" la conquête territoriale russe à l'état actuel - sur les trois républiques indépendantistes - il ruine le succès de l'opération spéciale russe. On se sait pas que le personnage ait un esprit assez politique pour ébaucher un tel plan face à Poutine.

Mais, il n'en reste pas moins vrai que des pourparlers initiés après un cessez-le-feu gelant l'offensive russe seraient inespérés pour Washington. Qui sait que les Américains repartent pour dix ans de "paix" à pourrir la vie des populations de l'Est ukrainien. Les Américains pourront alors renforcer leur implantation en Ukraine. Mais, à Washington aussi, on se demande s'il existe encore une tête politique capable de calculer une telle manoeuvre diplomatique.


Il est sans aucun intérêt de prévoir le futur. Le futur ne se prévoit jamais. Seulement, il est toujours instructif de tirer les conséquences de faits connus et déjà passés. Les conséquences sont pour demain. Si elles ne sont pas le fait du futur, c'est que les faits connus utilisés pour tirer les conséquences n'étaient pas les bons.

Aujourd'hui, le fait connu, c'est que l'opération russe est en marche vers le succès et pas la défense occidentale. Mais, quels faits peuvent intervenir qui annuleront les faits connus ? Par exemple, quelle sera la durabilité de Zelinsky ? Et celle de Biden ? Si des faits intervienent à leurs sujets, les conséquences envisagées ici seraien tfausses.


Revue C-Politix (c) 8 Juillet 2022