L'idéologie du rationalisme et la ruine du débat public

Philippe Brindet - 2 Mars 2023

Le rationalisme comme le déterminisme qui l'a suivi s'est constitué à l'aube du XIX° siècle comme une idéologie. A l'époque, l'idéologie était ce qui paraissait de plus avancé en matière de science et entièrement motivé, animé, par le rationalisme. La base de cette idéologie est que le monde n'est pas du tout inexplicable parce qu'il est créé par un Dieu trop intelligent pour des humains, mais parce que le monde "fonctionne" comme une machine avec une bonne raison.

Il en découle que la connaissance du monde se résoud dans la liste des bonnes raisons, les idées, qui expliquent son fonctionnement. "Dieu est une hypothèse dont je n'ai pas besoin", répond Laplace à Napoléon. Et avec la Révolution de 1789, nous entrons dans ce qui est souvent appelé l'ère moderne, l'ère de l'idéologie qui opprime la réalité à n'être plus qu'un catalogue d'idées reçues. Ces idées reçues qui ont pourtant fait bouillir de rage Gustave Flaubert.

Il faut reconnaître que la raison est quelque chose de confondant dans un débat public. A une question bien ficelée, on vous répond par une réponse bien ficelée. Que voulez-vous de mieux ? Il y a un rhytme, une cadence qui écarte le débat. La "bonne raison" est sans appel. Elle est le fondement même de l'idéologie incontestable. Le contraire de la science. Et de la politique.

Le problème bien sûr vient du côté "bien ficelé" et de la réponse et de la question. Mais, justement, avec une succession de questions-réponses sans temps mort - je veux dire sans réflexion - les débatteurs se font fort de vous faire accepter n'importe quelle "bonne raison". Ajoutez à celà l'autorité raisonnante du débateur et l'affaire est enlevée.

C'est ce que j'entendais hier sur une émission de radio. Un présentateur connu évoquait à son interlocuteur la révélation qu'une autre agence américaine venait de reconnaître que la pandémie de Covid-19 provenait d'une fuite accidentelle d'un laboratoire chinois. L'interlocuteur, un célèbre professeur de médecine engagé dans l'hypothèse concurrente de la zoonose ou origine naturelle de la pandémie, proteste que les "gens" - il entend ici l'administration américaine - disent n'importe quoi quand ils ne font pas de la science. Sur cette pétition de principe, le célèbre professeur explique. Il donne la "bonne raison" : il existe dans le génome de SARS-CoV-2 - et il en a séquencé des milliers - une région dite RNA Polymerase qui est très spéciale dans le SARS-CoV-2, de sorte que ce coronavirus mute extrêmement vite et profondément.

Et le professeur de se lancer dans une savante description de mutations rapides qui, insinue t'il, démontrent que Covid-19 ne peut pas dériver d'une fuite accidentelle de laboratoire.

Médusé, le présentateur radio remercie le savant professeur et l'opinion publique est chargée d'une nouvelle "bonne raison" de professeur de médecine.

Le problème, c'est que le RBD évoqué par le professeur de médecine n'a rien à voir avec l'hypothèse d'une fuite accidentelle d'un laboratoire, fut-il chinois.

Il aurait très bien pu affirmer que l'hypothèse était prouvée parce que la plupart des micrographies publiées du coronavirus sont en rouge, la couleur du drapeau chinois ...

Mais le public, même bien instruit, fait trop souvent confiance. Et on en arrive ainsi au fameux "consensus de la communauté scientifique" au nom duquel se commettent les pires crimes contre l'esprit scientifique et les atteintes à l'esprit public.


Revue C-Politix (c) 2 Mars 2023