La crise politique en France. De la République à la démocratie totalitaire

Philippe Brindet - 11 Avril 2023

Tout le monde en est d'accord. La France subit la plus grave crise politique depuis longtemps [1]. Et cette crise politique pourrait être à la racine de toutes les autres crises à cause de l'importance démesurée que l'Etat a pris dans la vie réelle des gens réels.

La République française s'est éteinte sans que les Français s'en soient aperçus

Un seul signe : quand on parle du régime politique en France, on claironne qu'il s'agit d'une "démocratie libérale", en ce que la "démocratie libérale" s'oppose à l'autoritarisme autocratique d'une Chine ou d'une Russie, nations considérées par les "bonnes âmes" avec un dégoût marqué. Mais que le régime de la France fut une République semble une évidence limitée à une inscription gravée sur les frontons des palais nationaux. Lors de la lente décadence de la politique en France, le terme de "République" a été tenue pour synonyme de "démocratie". Et on a finalement complètement enterré et la République et sa réalité.

Quand la France était-elle encore une République ? Qui est responsable de l'extinction de la République ? Voilà le genre de question qui aujourd'hui est sans réponse. On peut estimer qu'il faut distinguer entre la réalité du régime républicain et son idéalisation. On peut alors s'accorder sur l'estimation que la République française, telle qu'elle a été été théoriquement déterminée par la Cinquième Constitution adoptée, était une République théorique qui n'a probablement jamais existée.

Mais, dès les premières années du règne quasi-monarchique de François Mitterrand, les politiciens française évoquaient encore l'ombre de la République. C'est vraisemblablement pendant ces années Mitterrand que la République a disparue totalement. Remplacée par un régime étatique totalitaire qui se levait lentement à l'abri des apparences de la République agonisante. Lorsque Chirac est parvenu au pouvoir, la république n'existait probablement plus.

Peut être peut-on établir son acte de décès au référendum de 2005 sur l'Union Européenne du Traité de Maastricht, référendum essentiel au fonctionnement d'une République définie par la Constitution encore en vigueur, mais qui a été autoritairement annulé par la coalition des trois pouvoirs caractéristiques de la République : le législateur, le juge et l'exécutif. Leur terminale fusion par cette coalition marque le meurtre de la République puisque leur indépendances relatives sont essentielles pour assurer l'existence d'une République.

La chose étrange est que les Français ont assisté à l'enterrement de la République. Le Non exprimé par le Peuple français au référendum d'association à l'Union européenne, dit de Maastricht a été écarté par l'oligarchie. Malgré le mécontentement certain du peuple, le pouvoir législatif français a été sommé - Sarkozy régnant - d'adopter le Traité de Maastricht a nom du Peuple français, qui avait pourtant dit Non. Ce qu'il a fait. Mais au lieu de se révolter d'une manière ou d'une autre, la plupart des Français ont préféré se retirer des institutions républicaines, prévues par la Constitution. D'abord et avant tout en refusant de se rendre aux urnes lors des élections encore fictivement organisées.

Reviendraient-ils aux urnes que celà seul ne suffirait pas à engager un retour de la République.

On sait que le coeur de la République est assurée par la Loi. Or, celle-ci a été entièrement remplacée par :

  • l'influence américaine qui impose ses normes par des mesures économiques ou financières ;
  • l'influence européiste dont les réglements sont supérieurs aux lois de la République ;
  • l'influence de la caste des hyper-milliardaires qui recrutent eux-mêmes les politiciens de pouvoir et les hauts fonctionnaires ;
  • l'influence des cabinets de conseil américains qui sont capables d'imposer des comportements aux populations sans recourir à la loi (le nudge).

La Démocratie française a été pervertie avec l'approbation massive des Français.

Mais la destruction de la République s'est doublée d'une remarquable perversion de la démocratie. Dans la Constitution de la Cinquième République, la démocratie est l'une des qualités essentielles de la République (article 3). On note que cette Constitution est établie par la Nation française [2]. De ce fait, la République française est une république nationale, constituée par et pour un peuple français.Il est donc naturel qu'elle se définisse comme démocratique. Mais, de là, la référence à la démocratie est devenue trompeuse.

En effet, la démocratie que l'on nous a peu à peu imposée est la démocratie libérale, alors que la Constitution n'a jamais admis le libéralisme au sens américain comme la forme de notre démocratie. Au contraire. La démocratie française est sociale et laïque. Elle n'est certainement pas libérale au sens américain.

Or, dans la France de la Cinquième République, la référence vide de sens à une démocratie libérale est aujourd'hui conçue dans un double rôle :

  • tout d'abord, s'assurer de notre adhésion en opposant la démocratie libérale des Etats occidentaux, à l'autocratie autoritaire présumée d'Etats comme la Chine ou la Russie ;
  • ensuite, dissimuler l'abandon des derniers vestiges de notre souveraieneté en nous agrégeant à un bloc d'asservissement contrôlé par le régime américain, qui a largement et assez subtilement délégué son contrôle à deux institutions : l'Union européenne en matière civile, et l'OTAN en matière militaire.

De ce fait, nous avons été dépossédés de la démocratie au profit d'une soumission à une tyrannie étrangère : celle des Etats-Unis et de l'Union européenne. En réalité, ces deux entités sont pratiquement des fantoches qui obéissent à des intérêts financiers et économiques, qui, durant les vingt dernières années, se sont constitués comme un tyran se substituant aux institutions des Etats qu'ils se sont soumis. En fait de démocratie, la "démocratie libérale" est en réalité une démocratie totalitaire [3]

Nous ne sommes plus une République. Nous n'avons plus de démocratie. Par contre, nous vivons dans la tyrannie de pouvoirs illégaux, illégitimes, despotiques. Bienvenue en France.

Je pense donc que l'espèce d'oppression dont les peuples démocratiques sont menacés
ne ressemblera à rien de ce qui l'aura précédé.
Alexis de Tocqueville (1840)

Notes

[1] Lire par exemple :

  1. Peut-on parler d’une violation permanente de la Constitution (pour Atlantico avec Anne-Marie Le Pourhiet), Maxime Tandonnet, le 10 avril 2023 ;
  2. ÉDITO - "Empêtré dans une crise sociale et politique qu'il a lui-même déclenchée, l'exécutif réfléchit aux moyens de continuer à avancer", BFM TV, 11/04/2023 ;
  3. Pourquoi notre système démocratique est-il en crise - L'Humanité
  4. Le roi Macron est nu et la France entre dans une crise politique, Challenges, Ghislaine Ottenheimer le 19.06.2022
  5. Présidentielle 2022: «Assistons-nous au crash de la démocratie, FIGAROVOX/TRIBUNE/

[2] La Constitution de la Cinquième République détermine :

Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004. [...]

ARTICLE PREMIER.
La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens [...]

Source : https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/texte-integral-de-la-constitution-du-4-octobre-1958-en-vigueur

[3] Lire :

  • "Les origines de la démocratie totalitaire, Jean-Louis Talmon,Calman-Lévy, Paris 1966.
  • "Condition de l'homme moderne [« The Human Condition »]", Hannah Arendt (trad. de l'anglais par G. Fradier), Paris, Calmann-Lévy, 1961

Revue C-Politix (c) 11 Avril 2023