La défaite de Zemmour à la télé

Philippe Brindet - 21 Avril 2023

Un documentaire CNews sur la défaite présidentielle de Zemmour

Le 19 Avril 2023 au soir, la chaîne de télévision CNews diffusait un reportage ou documentaire sur la défaite présidentielle de Zemmour. Le journaliste producteur de cette vidéo insiste sur les points suivants :

  • l'enthousiasme et la bonne volonté de Zemmour et de ses amis et affiliés ;
  • le scepticisme des politologues qui, chez les politiciens, va se muer en véritable frayeur, notamment au Rassemblement National ;
  • le rôle de l'invasion en Ukraine qui a poussé Zemmour à la faute en "refusant" les immigrés ukrainiens ;
  • l'insistance bornée de Zemmour de tout miser sur le thème de l'immigration et de l'identité française ;
  • la conscience que lui et ses amis avaient juste avant le premier tour qu'ils avaient perdu la partie.

Ce n'est pas un documentaire pro-Zemmour. Ce n'est pas un documentaire anti-Zemmour. C'est autre chose qui hésite entre perfidie pour le futur politique de Zemmour et peut être l'indication que CNews, adossé au groupe Bolloré, pourrait soutenir cet avenir politique. Par exemple, s'il renonce à son obsession anti-immigrationiste.

Il manque cependant sur ce futur quelques indications. Le journaliste auteur du documentaire l'a tourné avec l'accord de Zemmour. Mais le montage et les scènes tournées n'ont pas été contrôlées par Zemmour ou son équipe. Et le tournage a eu lieu pendant la campagne présidentielle. Pas pendant les législatives qui, du coup sont absentes. Or, l'évaluation que le groupe Bolloré et CNews font de ces législatives est essentielle pour le futur proche de Zemmour. Et les législatives de Zemmour ont été pires que sa présidentielle.

On ignore aussi complètement ce que sont devenus les soutiens de Zemmour. On sait que plusieurs sont partis comme le député européen Rivière. Quant à Marion Maréchal, le documentaire et le commentaire de CNews qui a suivi remarquaient que son adhésion à Zemmour est arrivée trop tard dans la campagne présidentielle. On peut estimer que ses prestations publiques pendant les législatives ont été catastrophiques. Elle semblait plus intéressée à dire des choses intelligentes que de développer et soutenir la ligne politique de son patron - assistant, il ne le sait pas lui-même.

Un journaliste, Nauleau peut être, fait une remarque très juste. Ce n'est pas parce que vous pensez comme la majorité des français qu'ils votent pour vous. Ils vous donnent des parts d'intentions de vote ce qui est très différent des bulletins dans l'urne.

Une remarque contradictoire est d'ailleurs que les sondages servent à modeler le vote dans l'urne. Il y a certainement un peu de vrai dans les contradictions.

Zemmour ne pouvait que tenter un coup républicain

Ce n'est pas un homme d'Etat. Zemmour est un intellectuel qui a des idées politiques très assurées. Un politicien jamais. Un politicien n'est jamais un intellectuel, et ce ne sont pas ses idées qui sont assurées. C'est lui. Observez la morgue d'un Macron ou d'un Mitterrand ou d'un Chirac. Ou encore d'un Sarkozy ou même d'un Hollande. Ces gens-là n'ont aucune idée de la France, ni de quoi que ce soit. Seulement de leur destin présidentiel. Et les français adorent çà. C'est simple.

Si Zemmour était parvenu au second tour, Macron aurait utilisé la même tactique. "Votez pour moi si vous ne voulez pas de Zemmour". Et Mélanchon, et Ciotti, et Le Pen, pour des raisons différentes, auraient fait voter pour Macron. Or, Macron a été désigné président par quelqu'un d'autre que le peuple français. Qui obéit à ce "quelqu'un d'autre" ...Servilement.

Se concentrant sur un très vulgaire symptôme de la maladie française - je vous rassure, il y a la même partout en occident américanisé où l'on peut voir partout des clones de Macron - l'immigration, Zemmour ne proposait que calmer le symptôme. Reconduire les illégaux à la fontière. Et il a cru quil avait raison parce que ses adversaires lui rétorquaient que ce n'était pas possible. Sa seul réponse était que "si". Il avait donc "raison". C'est une attitude qui démontre que l'analyse de Zemmour est insuffisante.

Sur un malentendu, il pouvait l'emporter. Il doit donc certainement ne pas regretter sa "tentative". Et la vigueur de son "si" sur l'impossibilité de la reconduite à la frontière lui tenait lieu de projet politique. C'était l'objet du possible malentendu. Macron a réussi à l'emporter avec deux cartes : "la haine de la Russie" et la "haine de Le Pen". C'est tout son projet politique. Quand il a contraint la retraite à 46 ans, il a stupéfait ses électeurs ! Alors que c'était dans son programme ! Mais les gens sont tellement crétins, qu'ils votaient contre Le Pen et pas pour la retraite à 64 ans !

Quelques médisances sur la politique de Zemmour

Zemmour est un lettré. Il semble pourtant ne pas avoir lu Brighelli. Ce dernier assure que la République française, dévoyée depuis Giscard, a configurée l'Education nationale en fabrique de crétins. Or, Giscard date de 1974. C'est-à-dire que celà fait 50 ans ou presque que l'on fabrique des crétins. Les grand-pères, les pères et les enfants.

Quand on parle de Beethoven à un français évolué, il croit qu'il s'agit d'un gros chien de cinéma. Lorsqu'on parle de Napoléon, ce même français est certain que c'est le drôle de personnage joué au cinéma par Christian Clavier ... Les rois de France ? C'est un gros patapouf ridicule et une reine autrichienne de moeurs infâmes décrits par le cinéma ... De Gaulle ? C'est le nom d'une "grand-place" dans ce cloaque qu'est Paris. Et généralement le nom du boulevard de la moindre petite ville de France. Rien de plus. Aussi, les envolées de Zemmour sur le gaullisme, outre qu'elles dépassent souvent les limites du Général, n'éveillent plus grand chose en France.

L'identité de la France agitée par Zemmour, avec talent certainement, n'évoque rien d'autre que des phrases lyriques dont l'agitation retombe sitôt déclamées.

Les français ne lisent même plus les journaux. Il faut reconnapitre que le contenu de la plupart des titres de presse est indigne. Certains, jeunes parfois, se bornent à ânonner avec deux doigts des messages stupides sur les grandes choses qui se passent dans le monde ... Des milliards de messages que seuls des services spéciaux - privés et publics - lisent en attendant que celà soit fait par de "l'intelligence artificielle", la dernière chose qui se vante encore ...

Quelle politique pour les français ? La retraite avant 64 ans, le pouvoir d'achat pour être certain de passer une semaine de "rêve" à Marrakech ou à Ibiza. "600 euros tout frais compris". Et puis haïr n'importe qui. Poutine, la droite, les catholiques, les musulmans, les américains, les chinois, les cheminots, les camionneurs, les ...

Le reste, les français en sont absolument incapables. Trop crétinisés pour celà. Trop crétinisés pour percevoir que Zemmour a un "vision pour la France".

Dans un film célèbre des années 70, un général bedonnant, rouge et soufflant, assis par terre en bouffant les sardines d'un centre allemand de regroupement de prisonniers, écoute l'air ahuri l'envolée d'un bouillant lieutenant : "Jusqu'à la victoire !" et murmure catastrophé : "il est complètement maboul".

Les français ne comprennent pas un mot de ce que leur raconte Zemmour. Une fraction (7%) a encore de vagues souvenirs d'un élan qui ne les emporte plus.

En réalité, le programme politique de Zemmour ne se borne pas à "bouter" les immigrés hors de France, ni à exalter la "grandeur de la France éternelle". Mais, Zemmour a cru - dans son innocence d'intellectuel - qu'il fallait exposer un principe rassembleur. Et laisser ceux qui étaient assez instruits se renseigner sur la partie technique de son programme.

Ce n'était pas une stratégie inadaptée. C'est le principe choisi par Zemmour - la lutte contre l'immigration et l'identité de la France - qui était trop "compliqué". Pour attirer politiquement les gens, il faut leur donner quelque chose à haïr. Ou à craindre. Enfin quelque chose qui entraîne dans la conscience réduite des gens quelque chose de marquant. Haïr Le Pen ? Voilà un bon sujet politique. De préférence, une personne bien incarnée, bien connue. Dans la course même. Haïr Macron ? Cà aurait été une bien meilleure solution que l'immigration. Parce que Macron est une personne, un personnage même, et pas une idée. L'immigration, c'est une idée. C'est beaucoup trop compliqué pour un électeur.

Une autre chose importante : Zemmour et ses vaillants alliés ont été incapables de rallier un nombre suffisant de politiciens de profession. Notamment de Maires, de Conseillers Généraux et surtout de députés et de sénateurs. On comprend bien pourquoi il n'a pas réussi ici. Mais, cet échec rend très improbable une victoire présidentielle. Le président élu est le chef de l'Etat. Et l'Etat français est une République avec 3 pouvoirs : l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Et ces trois pouvoirs, s'ils sont indépendants entre eux et du chef de l'Etat ont des liens avec le chef de l'Etat qui rend impossible un président de la République sans attache avec les trois pouvoirs.

Marine Le Pen est certainement plus avancée que Zemmour dans cette infusion parmi les trois pouvoirs. Probablement, elle est encore loin d'avoir la masse critique de ce point de vue pour espérer encore l'emporter.

Mais tout celà n'est pas bien sérieux. Bon vent Eric.



Revue C-Politix (c) 21 Avril 2023