La guerre en Ukraine et l'analyse de Paul Craig Roberts

Philippe Brindet - 29/04/2024

Paul Craig Roberts est un analyste américain qui publie un site personnel (https://www.paulcraigroberts.org/) d'une importance capitale sur tout ce qui touche les Etats-Unis et le monde occidental qui leur est annexé.

Paul Craig Roberts n'est pas un analyste américain comme les autres. Economiste réputé, il a été un homme politique important de l'ère Reagan. C'est lui qui a été le moteur de l'industrialisation de l'ère Reagan comme Sous-secrétaire d'Etat au Trésor. Il publie de 5 à 7 billets par semaine d'un intérêt majeur sur de nombeux sujets.

Sur la Guerre en Ukraine notons ces dernières semaines :

Son article le plus récent demande une lecture attentive : The March to the Third World War Continues (4/28/2024). >Roberts y pose des problèmes importants.

Présentation de l'analyse de PC Roberts sur le conflit ukrainien

Dans ce billet, PC Roberts identifie ce qu'il qualifie d'erreurs stratégiques commises par Poutine.

La première erreur stratégique a été la passivité dont il a fait montre lors du coup d'Etat fomenté par les USA à Kiev - la soi-disante "révolution" de Maïdan.

La deuxième erreur stratégique de Poutine aurait été de ne pas accorder le même statut aux deux républiques auto-proclamées de Lougansk et de Donetsk qu'à la République de Crimée. Roberts estime que les USA et leurs satellites n'auraient pas plus oser récupérer militairement le Donbass qu'ils n'ont tenté de récupérer la Crimée.

La troisième erreur stratégique de Poutine a été de se laisser tromper par les Accords de Minsk. Roberts parle de naïveté enfantine : "The naivety Putin reveals is extraordinary. He is a babe in the woods having to contend with Satan."

La quatrième erreur stratégique de Poutine a été de limiter son opération militaire sans y mettre les moyens adéquats. Il s'est trouvé à deux doigts de se faire doubler par le magnat Prigozhine avec sa milice Wagner. Faisant traîner les opérations, Poutine a perdu toute chance de vaincre l'Occident, alors qu'une opération rapide lui aurait acquis toute l'Ukraine. Or, peu à peu l'Ouest entre dans la guerre en Ukraine.

La cinquième erreur stratégique de Poutine réside dans la participation encore indirecte de l'Ouest dans les attaques de sabotage à l'intérieur de la Russie. A terme, les Russes vont découvrir que Poutine est incapable de les protéger de la menace occidentale. Les russes découvriraient alors que Poutine les a placé dans une situation intenable et le rejetteraient. Roberts estime que beaucoup des erreurs de Poutine viennent de la faillite du renseignement - des services spéciaux - russes. Ils sont incapables de l'informer des menaces non directement militaires, comme en Géorgie.

Finalement, dans une autre future erreur stratégique, Poutine devrait se trouver attrait dans un maelström provoqué par la stratégie chinoise qui est à plus long terme que la sienne. Et cette différence devrait ruiner les alliances péniblement réunies par Poutine et Lavrov. Ce qui immanquablement selon Roberts, restaurera l'efficacité des sanctions américaines.

Il faut noter que Roberts, outre sa propre analyse, se réfère aux analyses de Whitney : https://www.unz.com/mwhitney/washington-moves-on-to-plan-b/ et celles de Global Research, https://www.globalresearch.ca/nato-terrorists-launch-attack-belarus/5855863. Roberts semble rester indifférent aux analyses d'autres horizons comme celles de Larry Johnson, de McGovern, de Scott Ritter, ou de Douglas McGregor aux USA. Les analyses de Mearsheimer ou de Seymour Hersh n'ont pas eu d'écho chez lui, et encore moins les analyses de la sphère russophone.

Une critique des analyses de PC Roberts

Très clairement, Roberts est parfaitement soutenu par les faits : Poutine s'est laissé dépasser par l'Histoire tant en 2014 qu'en 2022. Sa naïveté concernant les accords de Minsk est aussi une qualification, un peu extrême, mais pas imméritée. Par suite, la critique de Roberts de la qualité des services de renseignement russes n'est pas infondée non plus.

Je crois que Roberts - dans son analyse - est guidé par deux obsessions, la Troisième Guerre Mondiale et l'apocalypse atomique. Il n'est pas inexact que les deux partis aux prises - à savoir les Etats-Unis et la Russie - jouent un jeu dangereux avec l'un et l'autre de ces deux dangers immenses. Mais, la modicité de la puissance de la dite "opération militaire spéciale russe" est exactement la mesure qui permet à la Russie de ne se placer ni dans la perspective de la Troisième Guerre Mondiale, ni dans celle, assez semblable, de l'apocalypse nucléaire. Et les Etats-Unis jouent exactement la même modération que celle de la Russie en ne franchissant pas - officiellement - la ligne rouge de l'engagement direct de l'armée américaine dans le conflit en Ukraine, ou ailleurs - Syrie et Irak notamment - avec l'armée russe. Les Etats-Unis se bornent à "alimenter" ses vassaux ukrainiens. Pour l'instant, çà suffit ... Il me semble donc "mal venu" pour Roberts de reprocher à Poutine une attitude qui évite et la Troisième Guerre Mondiale et l'apocalypse nucléaire, même si l'action de Poutine paraît une accumulation d'erreurs stratégiques.

Je voudrais aussi souligner une caractéristique de la géostratégie russe que Roberts semble ne pas prendre en compte. Les structures des économies de la Russie d'une part et les Etats-Unis et de l'Union Européenne d'autre part sont très différentes. Les économies occidentales ont besoin du reste du monde pour fonctionner, les Etats-Unis peut être à un degré moindre que l'Europe - et Roberts peut de chez lui ne pas s'en rendre compte. Mais un Européen ne peut pas se tromper. L'agriculture européenne est en cours de destruction totale et l'Union européenne n'a plus d'autre industrie que ... le tourisme ... Quant aux Etats-Unis elle disposerait encore d'une agriculture et d'une industrie, mais elle ne dispose plus des compétences parce que, comme l'Europe, son système éducatif est ruiné depuis plus de deux générations. Cela se ressent déjà dans l'incroyable nullité des politiciens occidentaux. Bien pire que cette ignorance, il faut noter l'incroyable degré de corruption des classes dirigeantes occidentales qui explique le principal de leurs PIB. Par exemple, la plus grande partie du budget militaire des Etats-Unis est occupée à financer la corruption en Occident. Autre exemple de la corruption occidentale : la hauteur "vertigineuse" de la rénumération des cadres supérieurs tant des administrations publiques que des entreprises "privées".

De la corruption en Russie, il en existe certainement. La propagande occidentale n'hésite pas à s'y référer, mais avec une suggestive modération ... Or, les observateurs occidentaux - du moins ceux dégagés de la propagande occidentale - qui visitent la Russie depuis le début des années Poutine témoignent que les force svives de la nation russe sont bien plus saines que l'occident corrompu le fait savoir.

L'engagement des Etats-Unis en Ukraine est certainement dictée par une géostratégie impérialiste : effondrer le régime de Poutine pour reprendre le contrôle de la Russie comme au temps d'Eltsine. Mais cet engagement est bien plus fortement dictée par la corruption américaine en Ukraine qui se fonde à la fois sur l'Etat-croupion installé par les Etats-Unis et sur les oligarques ukrainiens comme Poroshenko. En 2014, Biden alors Vice-Président de Obama, s'est installé dans les entreprises ukrainiennes pour les mettre au pillage - voir les affaires Burisma ou Metabiota, et combien d'autres. Les terres ukrainiennes ont été cédées aux hypermillairdaires américains ce qui explique la stratégie de l'Otan pour protéger les revenus des oligarques américains.

Je crois que les relations entre la Chine et la Russie peuvent "capoter" très facilement et alors, la géostratégie de Poutine dite du multilatéralisme pourrait en effet devenir une erreur stratégique. Mais pour l'instant, elle porte ses fruits parce que Poutine est parvenu à dresser une réelle animosité de l'Afrique et du monde musulman à l'encontre de l'Occident corrompu. Et la Chine s'énerve de la domination sans objet des Etats-Unis qu'elle se verrait bien remplacer. Pour l'instant, Poutine semble l'avoir convaincu de ne pas remplacer les Yankees. Mais demain ...


Revue C-Politix (c) 27 avril 2024