La ruine du système politique français

Philippe Brindet - 28 Avril 2023

Je sais combien le caractère résolu de cette affirmation va à l'encontre de ce que les gens imaginent. Pourtant, peu importe ce que l'opinion publique croit. Elle n'a d'existence que pour autant que l'intelligentsia l'exprime. Et l'intelligentsia - la caste des intellectuels prébendés par le régime occidental - va répétant absurdement l'idée fixe de Mademoiselle Cunégonde depuis le dix-huitème siècle : "Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes".

Pourtant, près de 6 français sur 10 ne disposent pas du revenu mensuel suffisant pour faire face à leurs dépenses contraintes. Seuls 2 à 3 français sur 10 sont relativement satisfaits de leur sort parce que leurs avoirs en banque - toutes prêtes à la faillite sur commande - n'ont jamais été aussi forts.

Pourtant depuis trente ans et plus, la vie démocratique se réduit à élire le candidat désigné par l'oligarchie occidentale. Quant à la république, c'est en France, comme partout ailleurs en Occident, une suite insensée de lettres gravées sur le fronton des immeubles gouvernementaux.

Il y a près de 250 ans, une autre suite de lettres - du moins dans les écrits publiés à l'époque - avait elle aussi perdue toute signification raisonnable : la royauté. Or, ce qui s'en est suivi devait nous enseigner que certaines choses ne devraient pas perdre tout sens commun, partagé.

Sommes-nous à nouveau à l'aube d'une révolution civile et politique ? Nul ne peut le prévoir. Les français ne l'avaient pas compris en 1789. En 1790, pas davantage. Ils commencèrent à le ressentir en 1791. Et il fallut 1792 et l'assassinat de Louis Capet, l'ancien roi, pour que la majorité sans doute comprisse. Et ce fut Robespierre qui se chargea de le faire comprendre aux esprits obtus. Et il fallu que la corruption générale parvint à assassiner Robespierre pour que le cauchemar s'éloigne lentement. Jamais complètement, puisqu'aujourd'hui encore une fraction de l'intelligentsia et de la caste politicienne se complaisent dans la mémoire des exactions des Jacobins et de leurs successeurs babouvistes et directoriaux.

Nous ne pouvons pas prévoir un événement imprévisible. Mais, nous pouvons comprendre qu'un événement grave se prépare. Les circonstances de 2023 ne sont pas celles de 1791.Mais très certainement, l'événement grave dont il s'agira dans les livres d'Histoire est déjà commencé.

Beaucoup ne voient pas l'approche d'une révolution. Ils voient plutôt le spectre de la Troisième Guerre mondiale. Avec - comme lors de la Deuxième - un théâtre européen et un théâtre asiatique. Je suis incapable de prévoir une telle chose. Parce que tout m'en répugne. Mais c'est bien la seule raison. L'opération militaire spéciale de la Russie en Ukraine, - qui n'est pas une guerre européenne, mais une guerre à mort entre la Russie et les Etats-Unis - peut sembler comme un prélude à cette catastrophe. D'autant que la même guerre - encore cachée - entre les Etats-Unis et la Chine est en train de croître.

Pour nous français, ce qui a changé, c'est que notre Etat politique est devenu une puissance faible. Je sais que les bourgeois qui nous dirigent dans tous les domaines fustigent de tels propos comme la preuve d'une maladie qu'ils sont seuls à diagnostiquer : le déclinisme qu'ils maudissent. Mais, leur immaturité - leur ignorance d'ailleurs - les entraîne à la ruine.

La Révolution de 1789 a bouleversé l'Occident. Et elle a marqué le début du déclin de la France comme puissance européenne. Mondiale peut être. Aussi, même si nos bourgeois d'aujourd'hui participent à l'effondrement général de l'Occident, ils n'en sont que comme les laquais qui mirent le feu aux Tuileries en 1791. Ils ne font que suivre le mouvement de décomposition parti des Etats-Unis, la grande puissance hégémonique de l'Occident. L'Europe elle-même, complètement vassalisée, est incapable de réagir dans sa course à la catastrophe inconnue, mais certaine.

L'expérience de la réforme des retraites en France

Sur la base d'une analyse sommaire des conditions sociales du pays, le parti au pouvoir emmené par l'illusioniste Macron a imposé de manière bizarre une réforme du régime des retraites par la loi. Dans un régime républicain, il n'y a rien d'étonnant à une telle chose. Sur instruction du Président de la République, l'exécutif a présent un projet de loi réformant les retraites au Parlement. A l'issue de ce processus, le Président de la république a promulgué la Loi. Une procédure tout à fait classique dans le cadre des institutions de la Cinquième République.

Le point le plus connu de la réforme fait passer l'âge légal de la retraite de 62 ans à 64 ans. La motivation est indicutable :

  • grâce au progrès, les gens vivent plus vieux de sorte qu'ils restent plus longtemps à la retraite à toucher les pensions ;
  • le nombre des actifs diminue parce que les classes d'âge du baby-boom sont sorties de la vie active de sorte que de moins en moins d'actifs cotisent pour de plus en plus de retraités ;
  • il en résulte que le régime financier des retraites est déséquilibré et que le relèvement de l'âge de la retraite est la seule solution raisonnable.

Moins d'un an avant de mettre ce projet de loi en discussion au parlement, Macron a été ré-élu à la Présidence de la République. Or, il faut savoir deux choses :

  • tout d'abord, prétextant de la "guerre en Ukraine", Macron n'a pas fait campagne ou très peu et il n'a pas présenté de programme électoral ou très peu : le report de l'âge de la retraite de 62 à 64 ans !
  • sa concurrente du second tour était Marine Le Pen qui fit campagne et beaucoup de propositions parmi lesquelles le report de l'âge de la retraite de 62 à 60 ans !

Et puis, il y a juste un petit problème : alors qu'il était sur le point d'obtenir un vote favorable de l'Assemblée nationale, qui intervenait alors en dernier ressort, Macron a ordonné à sa première ministre, Borne, de faire adopter la loi en engageant la responsabilité de son gouvernement (article 49-3). De sorte que la loi sur les retraites, si elle a bien été discutée au Parlement, n'a pas été votée par lui !

Et il y a un autre problème : c'est que la motivation indiscutable de la loi ne l'est pas. Si la charge des pensions s'accroît en effet, il faut surtout noter que l'assiette des revenus sur laquelle les cotisations de retraite sont prélevées se réduit constamment. Les gens travaillent de moins en moins (chômage, salaires insuffisants, temps partiels, ...) Et vous pouvez augmenter indéfiniment l'âge de la retraite, vous n'y changerez rien.

Mais là n'est pas notre préoccupation.

Tout ce qu'il nous faut savoir c'est que deux français sur trois sont opposés au relèvement de l'âge de la retraite quelque motivation ont leur agite. Pire encore, 90% des actifs sont opposés à cette mesure !

Et de fait, les syndicats sont parvenus à mobiliser des manifestations monstres, constantes. Macron n'en a cure. Ayant circonvenu le Conseil Constitutionnel, il considère aujourd'hui que la force de la démocratie leui revient. Avec le soutien de moins d'un actif sur 10 et de seulement 1 retraités sur 2 ... Macron veut "passer à autre chose". Mais les français scandalisés par la situation politique le harcèlent dès qu'il paraît en public, lui ou ses ministres (les cassolades ...). On en rit, mais des gouvernements - pas moins démocratiques que le sien - sont tombés pour moins que çà (Argentine).

Une véritable décadence du régime politique français.

Le problème rencontré à l'occasion de la réforme des retraites - problème si mineur que les difficultés qu'elle crée sont totalement incompris à l'étranger - découle d'un problème de démocratie. La démocratie est la règle de l'élection du président de la République. Comment se fait-il que, moins d'un an après son élection au cours de laquelle Macron a clairement indiqué son ambition de relever l'âge de la retraite et au cours de laquelle son opposante a clairement indiquée son ambition du contraire ... la majorité des français est opposée à la loi sur les retraites ?

En réalité, les électeurs se sont portés sur Macron parce que les forces qui dominent l'élection présidentielle - et d'autres aussi - voulaient absolument faire barrage à la possibilité d'une élection de Marine Le Pen, qualifiée d'extrême-droite. Il n'en est suivi que, sur ordre, tout ce qui va du centre droit (le parti LR) à l'extrême-gauche trotskyste s'est précipité pour élire Macron, sans se douter un instant que Macron retarderait de deux ans l'âge de la retraite sitôt élu.

On peut donc estimer que l'élection de Macron, alors qu'elle semble respecter tous les critères de la légalité démocratique, a été obtenue sur la base d'une tromperie de cette même démocratie.

C'est à cette tromperie qu'on peut juger de la décadence de la démocratie française.

Mais, en fait, cette décadence remonte plus loin que cette tromperie électorale. On sait depuis longtemps que les promesses électorales n'engagent que ceux qui les écoutent. Le peuple français - et les autres peuples occidentaux de même - ne sont pas à une tromperie près. Le problème vient du mode de sélection du candidat aux élections - ici présidentielles, mais d'autres présentent la même caractéristique. Macron est devenu candidat parce que des forces étrangères à la démocratie l'y ont préparé et l'ont ensuite imposé. Mais avant lui, cela avait été le cas pour Sarkozy et de manière moin directe, pour Hollande.

Celà fait donc longtemps que la démocratie en tant que cadre politique du choix délégué de la souveraineté du peuple a été pervertie.

La première bataille provient du financement de la campagne électorale. Ce financement est de plus en plus élevé de sorte que les candidats sont contraints de recourir à de puissants partenaires. On rétorquera qu'en France, pour éviter les travers de l'électoralisme américain, le financement est sévèrement encadré. Mais en pratique, cela signifie que, pour violer les règles électrales, il faut seulement de plus en plus de moyens et les forces qui contrôlent l'accès à l'élection sont de plus en plus puissantes quoique la loi électorale envisage.

Par exemple, plusieurs "petits" candidats - entendez par là des candidats dont les forces obscures qui contrôlent l'accès à l'élection ne veulent pas la présence - ont été rejetés par le système bancaire contrôlé par ces mêmes forces. Ou encore, ces mêmes "petits" candidats ne parviennent pas à obtenir le nombre minimal de parrainages que les candidats labellisés par les forces contrôlant l'élection rassemblent sans souci. Ces opérations demandent l'intervention de forces financières extrêmement puissantes et qui doivent rester ignorées du peuple de la démocratie.

Une autre bataille concerne l'accès aux média. Cet accès est lui ausi contrôlé par ces mêmes forces financières. Dans une élection présidentielle, qu'elle soit en France au aux USA, le candidat élu doit être connu de tous et de manière éveillant la sympathie du public, quelque soit le programme électoral soutenu. On se souvient, du "petit" candidat Zemmour qui - probablement sans le concours et probablement aussi contre l'action des forces financières qui contrôlent l'accès aux élections - dû capitaliser sur sa célébrité de journaliste et d'écrivain dans un marathon de conférences et de séances de dédicaces d'ouvrages pendant des mois avant de se présenter formellement à la présidentielle.

Aussi, le "bon" candidat doit recevoir la publicité favorable des média qui appartiennent tous - y compris les média d'Etat pourtant supposés politiquement neutres - aux forces financières de contrôle de l'accès à l'élection. Et il doit aussi disposer de la capacité de nuisance de ces mêmes media à l'encontre de ses concurrents. Rappelez-vous le sort de Strauss-Kahn - qui ne l'avait pas "volé", mais ...- Rappelez-vous : ce fut Hollande qui fut élu.

Une autre bataille est dirigée sur les sondages. Outil de mesure sociologique, le sondage est essentiellement une arme politique d'orientation du résultat de l'élection. Le sondage est entièrement contrôlé par les forces financières. Il permet d'organiser le vote futur, de l'orienter par exemple avec la stratégie du "vote utile" qui permet de faire écarter les candidatures inférieures au candidat supérieur. Joint à la censure et à la propagande, le sondage est une arme absiolument irremplaçable pour les forces financières qui décident du candidat qui sera finalement élu.

Acceptant ou ne pouvant éviter le rôle des forces financières de contrôle des élections, le peuple de la démocratie perd sa souveraineté. Et cette perte se fait dans le mensonge d'élections parfaitement régulières et en invoquant la loi de la démocratie avec la plus parfaite mauvaise foi.

Dans le cas de la loi sur les retraites, Macron a bafoué trois fois la démocratie en convaincant le peuple qu'il la respectait sans ambiguité :

  • la première fois en se faisant élire contre une candidate vilipendée sur ordre des forces financières de contrôle des élections ;
  • la deuxième fois en méprisant le vote de la loi qui pourtant lui était acquis de l'Assemblée législative ;
  • la troisème fois en refusant de jouer le rôle d'arbitre que la Constitution attribue au Président de la République dans un conflit opposant l'Assemblée Nationale ou l'exécutif et la volonté du peuple exprimée dans la Nation par les forces sociales.

Et il y a d'autres attentats dramatiques commis par le régime Macron contre la République cette fois. Mais ceci est une autre affaire.



Revue C-Politix (c) 24 Avril 2023