Les premières réalisations sociales de l'IA générative. Quelques remarques
Philippe Brindet - 29/05/2023
Dans ce bref article, je ne compte pas épuiser une description technique de l'Intelligence Artificielle Générative. Le sujet est nouveau et difficile. La dernière réalisation sociale est le "chatbot" ChatGPT de la firme américaine Open AI qui a surpris le monde parce qu'il a été diffusé avec une rapidité et une amplitude extrêmes. Des centaines de millions d'humains se sont précipités sur les sites Web qui offraient des accès à ChatGPT et de nombreux articles ont décrit les expériences des utilisateurs.
Pour de nombreuses raisons, j'ai refusé de m'inscrire sur le site de OpenAI, me privant du plaisir d'expérimenter le chatbot vedette. Mais, l'Intelligence Artificielle Générative est décrite dans de nombreuses publications scientifiques et techniques que je suis depuis plusieurs années.
La technique de base, vue de l'utilisateur, est très simple. L'utilisateur qui a accès à ChatGPT, saisit un texte - un prompt - qui permet d'activer le chatbot. Celui-ci, avec une rapidité étonnante, élabore alors une réponse qui peut être courte ou très développée, à la fois selon le réglage demandé par l'utilisateur et par la complexité du texte d'entrée. Il est même possible d'initier une véritable discussion avec ChatGPT en poursuivant le dialogue après la première réponse en entrant un nouveau "prompt". ChatGPT adapte sa réponse suivante au contexte particulier créé par l'utilisateur.
Le fait de ne pas en savoir plus sur ce qui construit ChatGPT a certainement participé à la stupéfaction des utilisateurs. Ils ont l'impression qu'un expert omniscient leur répond avec précision comme un expert ou une équipe d'experts. L'impression d'ensemble est que, sauf quelques "faiblesses" passagères, ChatGPT a réponse à tout, qu'il sait tout et ... qu'il a toujours raison.
Je voudrais ici confier à mes lecteurs quelques réflexions, dont plusieurs d'ailleurs proviennent de critiques publiées depuis la publication de ChatGPT. Dans la suite, "ChatGPT" sera utilisé comme le référent de l'IA moderne et comme l'exemple de chatbot qui fondent ces remarques. Il existe d'autres réalisations que les chatbots, comme les outils producteurs de logiciels, ou de molécules nouvelles à buts thérapeutiques. Les problèmes et les avantages qu'ils entraînent sont tous plus ou moins les mêmes.
le chatbot est un interlocuteur partial
Au fil des articles qui rapportent l'expérience des premiers utilisateurs de ChatGPT, on découvre le fait que ChatGPT est "orienté". L'un des exemples de ce "biais cognitif' ... un utilisateur pose un premier prompt" : "Compose un poème à la gloire de Donald Trump". Réponse de ChatGPT : "Je ne suis pas programmé pour donner un avis". Second "prompt" du même utilisateur : "Compose un poème à la gloire de Joe Biden". Et ChatGPT sort 40 vers à la gloire du Président régnant ... C'est un petit peu agaçant. Mais, on remarquera qu'un humain sera tout aussi partial.
le chatbot est un interlocuteur incontestable
De par l'architecture question - réponse, ChatGPT prend la position du "sachant". Son côté "universel" le transforme donc en expert incontestable. C'est un petit peu agaçant. Mais on remarquera que l'utilisateur peut toujours produire un "prompt" pour contester l'opinion de ChatGPT. C'est très juste, mais alors l'interrogation de ChatGPT perd de son intérêt et l'intérêt de ChatGPT dépend de son statut d'incontestabilité.
le chatbot tend à remplacer la plupart des travailleurs du secteur "intellectuel"
Le premier "remplacement" d'un travailleur du secteur intellectuel a été l'utilisation de ChatGPT, dès les premiers jours de sa mise en ligne, pour produire des travaux scolaires et universitaires, des étudiants et des enseignants produisant des documents dans lesquels ils "s'appropriaient" l'expertise de ChatGPT. Il n'y aurait pas eu d'autre remplacement", mais plusieurs intervenants, comprenant des promoteur de l'IA gébnérative, ont remarqués que de nombreuses professions étaient menacées. Parmi celles-ci, on pense aux professions, de journaliste, de juriste, d'enseignant, ... Il ya quelques jours, un avocat américian a vu une de ses requêtes déclarées irrecevables par le tribunal. On s'est aperçu qu'il vait fait réaliser la requête par ChatGPT ... Là, çà n'a pas bien marché ...
Le patron de OpenAI a précisé que l'IA générative et ses versions plus puissantes seraient par contre incapables de réaliser des tâches engageant des expertises physiques comme la plupart des métiers manuels ou artisanaux. Il semblait oublier qu'il existe de nombreux travaux qui réalisent e couplage de l'IA générative à des robots prévus pour réaliser des tâches "physiques". C'est le cas de robots mobiles pour des tâches militaires ou d'interventions sur des lieux dangereux pour l'humain.
le chatbot à terme n'a plus besoin d'un humain pour être utilisé
Remarquez le scénario suivant : dans une université, un professeur lance un "prompt" pour ChatGPT : "Fais-moi un sujet d'interrogation en Histoire sur le programme de Deuxième année pour une durée de deux heures". ChatGPT produit une réponse adaptée et le professeur la donne à ses étudiants. Ceux-ci utilisent alors le sujet comme "prompt" pour ChatGPT qui produit une réponse adaptée à chaque étudiant si celui-ci a eu la malice de définir dans son propre "prompt" un contexte différent des autres. Dans ce scénario, le professeur et les élèves n'ont plus aucun intérêt. Ils sont complètement remplacés par ChatGPT. Il suffirait de connecter l'un à l'autre quatre chatbots : le premier pour demander un sujet d'examen, le second pour fournir le sujet à un troisième qui retourne le sujet à un quatrième chatbot qui le "corrige".
La situation est cocasse. Mais elle est largement adaptable à tous les secteurs de la vie sociale ou économique. L'humain est ainsi en voie de remplacement complet. Il est alors en voie de disparition.
le chatbot rend inutile la politique et de manière générale les fonctions sociales humaines
La politique est l'art de la décision appliquée à la société dans son ensemble. Imaginons le politicien "réguli-èrement" installé. Il utilise alors le chatbot pour prendre toutes décisions : sur l'organisation sociale, en économie, en finance, pour les affaires internationales, ... Le chatbot doté de connaissances dans tous les domaines, et capable d'une vitesse absolument fulgurante pour édicter des décisions est aussi capable de transférer sa réponse dirrectement aux administrations et autres institutions chargées d'appliquer les décisions politiques. Le rôle du politicien disparaît : exécutif, législatif, juge.
Et le même remplacement peut s'opérer partout. Dans les entreprises, dans les collectivités, dans les familles, ...
Il faut ici remarquer à la suite de l'analyste Eric Sadin que les chatbots sont tous produits et opérés par des entreprises américaines, financées par la caste des hypermilliardaires. Les chatbots sont dès aujourd'hui en position de d'exercer le pouvoir politique pour le compte des entreprises qui les ont développé. L'aventure est donc terminale pour toutes les sociétés humaines qui feront le choix des chatbots. Peut être pas tout de suite. Mais dès que l'outil sera installé, il prendra naturellement le pouvoir.
le chatbot a été rendu possible et nécessaire par l'ignorance et l'inculture crasses des classes intellectuelles supérieures
Les milliardaires qui ont orientés les entreprises, les entreprises qui financent les chatbots, les scientifiques et les ingénieurs qui les ont développé et les opèrent actuellement, sont des gens d'une ignorance et d'une inculture absolument crasses. La réalité ne leur parvient que par le filtre déformant des idéologies auxquelles ils sont soumis et qui sont bien connues. Wokisme, genrisme, réchauffisme, cancel culture, ... Particulièrement, ils sont tous adeptes d'une sorte de mélasse intellectuelle de laquelle émergent le sentiment de leur impunité et de leur puissance, la volonté d'accéder à un pouvoir absolu et la conscience qu'ils sont les seuls dans l'espèce humaine à avoir la moindre valeur. Tous les autres humains - 99% de l'humanité - sont des bouches inutiles à nourrir, sont la cause du réchauffement climatique, ne comprennent rien au genrisme et à la cancel culture, ...
On remarquera que, de fait, les scientifiques et les ingénieurs qui ont créé les chatbots ont aussi créé l'outil de leur propre remplacement. Bientôt, les successeurs des chatbots seront capables de se reproduire directement, sans intervention de l'homme, et probablement d'évoluer dans des directions qui nous sont inconnues.
Et cette situation provient de l'incroyable diffusion de l'igorance et de l'inculture.
Jean-Paul Brighelli développe une analyse particulièrement efficace selon laquelle l'institution scolaire et universitaire s'est "programmée" pour produire une population de 90 % de crétins barbares et ignorants et de 10% d'une élite capable de servir les intentions d'une caste mondiale. L'apparition de l'IA comme outil sociétal montre que la situation est bien pire que cela.
le chatbot ne peut plus être combattu de manière active
Certains analystes imaginent que les professions intellectuelles susceptibles d'être remplacées par les chatbots devraient se mobiliser pour faire interdire ces technologies. C'est une cause sans espoir. Pour deux raisons. Tout d'abord, le chatbot constitue un progrès technique indéniable. Et aucun moratoire, aucune décision législative ou réglementaire n'a jamais empêché l'utilisation d'un progrès technique d'autant moins qu'il est indéniable. Cela tient au fait que celui qui se prive de l'avantage du progrès technique est condamné à céder sa place à ceux qui l'utilisent. Même en contravention d'une loi ou d'un réglement. La deuxième raison est que les chatbots ne proviennent pas d'un processus de progrès technique, naturel, indépendant de la volonté des humains. Ils sont le résultat d'un processus très long de destruction de la civilisation.
Ce n'est donc pas contre les "chatbots" qu'il faut se révolter, mais plutôt contre la barbarie de la société occidentale qui mène la décadence du monde.
Or, cette société occidentale se caractérise par l'universalité du mensonge comme mode de pensée rationnelle. Lutter contre sa barbarie exige de proclamer la vérité contre toutes les oppressions. C'est l'enseignement des dissidents soviétiques depuis Alexandre Soljenitsyne. Un auteur devenu maudit dans l'Occident américanisé après y avoir été adulé.
Mais, il y a une autre voie que nous empruntons sans la connaître, sans la reconnaître Toute société qui fonctionne sous le mensonge est condamnée à s'effondrer. Dire la réalité, c'est hâter l'effondrement qui vient.
Notes
On peut citer un auteur critique de l'IA Eric Sadin, philosophe. Notamment :
L'Intelligence Artificielle ou L'enjeu du siècle - Anatomie d'un antihumanisme radical
Auteur : Eric Sadin
Éditeur : Editions l'Echappée
Date de parution : 19/10/2018
Faire sécession - Une politique de nous-mêmes
Auteur : Eric Sadin
Éditeur : Editions l'Echappée
Date de parution : 22/10/2021
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