Notes de lecture - Autour de Chesterton et 'L'Homme éternel'La comparaison de Rome et de CarthageAu cours d'un pamphlet flamboyant traduit en français en "L'homme éternel", Chesterton compare les civilisations de Rome et de Carthage. Il compare les dieux romains aux dieux carthaginois. Des premiers, il dit que ce sont des dieux familiers, domestiques, agricoles, ...auxquels on croit comme en un conte, en une légende... Il estime la civilisation romaine comme un mélange d'ordre républicain et d'agitations politiques alternant entre luttes intestines - plèbe et patriciens - et guerres étrangères- la porte de Janus toujours ouverte. De l'ordre dans la fantaisie du peuple et de la noblesse ... La société romaine était décente. Explosive, mais décente. La société carthaginoise était bien plus raffinée, héritant de Tyr et de Ninive. Mais son dieu principal était le Moloch, le dieu de l'argent et du feu qui le fond. Pour nourrir Moloch, la classe dirigeante sacrifiait ses nouveau-nés en les jetant vivants dans le feu allumé sous sa statue de bronze. Entièrement dévolue au commerce et à la banque, Carthage ne pouvait pas laisser prospérer le militarisme romain qui, déjà préparait l'empire. Quand Hannibal de sa base hispanique ennvahit la Gaule et traverse les Alpes, quand la ville de Rome est menacée, Caton l'Ancien a ordonné : "il faut détruire Carthage : delenda carthago ... Rome occupée, les banquiers carthaginois ne crurent pas les alertes d'Hannibal qui voyait avec stupeur la résistance romaine se poursuivre dans des ruines. Les maîtres du commerce et de la banque de Carthage lui coupèrent les subsides. Ses mercenaires gaulois et ibères impayés désertèrent. Et Carthage fut détruite Malgré l'apparence de sa défaite quand Hannibal victorieux menace l'Urbs, avec l'énergie d'un Caton, la République romaine triomphe du banquier punique. De Carthage à New York ?Quelle leçon nous transmet Chesterton : l'Amérique financiarisée sera t'elle détruite par la République ? Chesterton ne connaissait pas en 1920 l'effarant massacre des enfants imposé par l'Amérique qui, d'ailleurs, au temps de Chesterton, était bien moins financiarisée qu'aujourd'hui. Mais la généralisation et la banalisation de l'avortement et d'autres pratiques abominables répondent à l'innommable cruauté de la Carthage oligarchique. Ce serait le second trait de ressemblance de l'Amérique et de ses vassaux avec Carthage. Cette ignominie - et bien d'autres - condamne l'occident à sa destruction. Mais celà, Chesterton ne pouvait pas encore le constater en 1925. Comme Carthage, les USA sont devenus une oligarchie commerçante et banquière, qui méprise le peuple et d'une manière les êtres humains parce que cette oligarchie s'est livré au Moloch, une figure démoniaque qui agite le fantasme de l'or, de l'argent, de la finance. Cet or qui alimente l'activité destructrice mais qui se nourrit de cette destruction. Cette destruction qui finalement emporte la civilisation qui s'y confie. "In dollars we trust", est la devise de l'oligarchie américaine et de ses vassaux, européens notamment. Ils courent tous ensemble à leur perte. Comme Carthage : delenda carthago ... La force du catholicisme prolonge RomeDans un autre chapitre, Chesterton compare le polythéisme romain au polythéisme grec. Leur trait commun était que les deux civilisations traitaient leurs théologies comme des fables aimables qui ne les dérangeaient pas tant que ça... Mais les latins étaient attentifs au rôle terrestre de leurs dieux et à leur implication dans la vie pratique quand les grecs cantonnaient les leurs dans les idées, en un mot dans les mythes. Chesterton estime que c'est la raison pour laquelle le christianisme s'est d'abord implanté à Rome et qu'il a produit le catholicisme. Le christianisme a trouvé un terrain favorable en Rome et sa croissance a empêché la perte de la civilisation romaine alors que celle de Carthage a complètement disparue comme les civilisations Inca ou Maya ou Aztèques. La figure que dessine cette allégorie est très explicative. D'autant que Chesterton la développe par plusieurs points. Explique t'elle l'irréductible opposition de l'orthodoxie et du catholicisme, masquée par un soudain oecuménisme déjà disparu ... Très certainement, l'orthodoxie est radicalement une religion des idées et son rite est celui de la spiritualité. Le catholicisme est avant tout une orthopraxis et un Royaume, celui de Dieu sur Terre, en un autre mot : la chrétienté qui prolonge a civilisation romaine entre plèbe et aristocratie. Les idées, sans lui être étrangères, ne sont pas son intérêt central. Ce sera le Grand Schisme qui contraindra le catholicisme à développer une théologie que, jusqu'alors, il tirait plutôt des théologies orientaux. Plusieurs papes ont demandé aux hiérarques orientaux de leur envoyer les théologiens qui leur faisaient défaut. A cette époque, la théologie catholique se faisait en grec. Une autre réflexion qu'on devrait tirer de Chesterton c'est que, si Carthage a été détruite, Rome est restée debout avec la chrétienté, puis l'occident moderne. Le prétendu effondrement romain qui figurerait le notre ne serait pas exact. Ce que montre l'Occident de dupliqué dans l'Histoire des civilisations disparues, ce n'est pas Rome, mais Carthage. Et poursuit sa voie triomphante, l'église catholique romaine, tandis que ses franges apostasiantes se sont réservées le culte du Moloch. Et le sort de l'Amérique financière qui, comme Carthage sera détruite. Ces dernières notations ne sont certainement celles de Chesterton. Mais, je pense que, averti de notre situation et cent ans après, il ne les démentirait pas trop. Incidemment, je demande à mon lecteur de ne pas prendre mes propos au pied de la lettre et, s'il ne croît pas à ma lecture de Chesterton, qu'il lise lui-même 'L'Homme éternel'. C'est une merveille, même traduite en français. Une fulgurance d'images, d'idées qui se fracassent en un combat rendu loyal par la bonhomie naturelle de Chesterton. Une idée neuve toutes les cinq lignes .. Un éblouissement. |