Observations sur la décision de la Cour Suprême US sur l'avortement

Philippe Brindet - 11 Juillet 2022

La récente décision de révoquer la jurisprudence Roe v. Wade prise par la Cour Suprême des Etats-Unis a eu sur les consciences l'effet d'un séisme sur un château de cartes. Et cet effet, comme il a lieu sur les consciences, a été aussi largement ressenti aux Etas-Unis - ce qui est naturel - que dans le reste du monde - ce qui l'est moins.

1 - La ferveur des défenseurs de la vie absolue

Les défenseurs de la vie à naître se sont pour la plupart concentrés sur la croyance que la Cour Suprême dans sa décision du 24 juin 2022 venait d'annuler la décision Roe v. Wade que cette même Cour avait rendue en 1973. Or, la décision Roe v. Wade, dans les esprits, consacre aux Etats-Unis le "droit à l'avortement". Et pour trop de personnes, la critique que la Cour Suprême a fait de la décision Roe v. Wade est équivalente à ... rendre l'avortement illégal ! D'autant que plusieurs Etats américains envisagent de prohiber l'avortement.

Mais, la ferveur qui s'est développée à l'occasion de cette décision a été telle qu'on comprend que, malgré le fait que les abortionistes sont presque partout en Occident au pouvoir, il reste une majorité silencieuse qui reste fermement opposée à l'avortement.

2 - La fureur des abortionistes déments

Très curieusement, les abortionistes comprenant l'ensemble des progressistes, a entendu exactement la même chose. "La Cour Suprême a interdit l'avortement !" Leur fureur a été et est encore extrême. Ils ont immédiatement attaqué les catholiques qui, pour au moins la moitié d'entre eux, sont des abortionistes ayant recouru à l'avortement et qui contemplent la fureur de leurs amis sans y rien comprendre. On ne compte plus aux Etats-Unis les églises incendiées, saccagées, taguées, ... au prétexte que l'Eglise catholique avait autrefois - il y a très longtemps ... - interdit l'avortement. Mais aussi les temples protestants, évangélistes, baptistes, ...

On a même assisté à de terribles exactions. Le Juge Kavanaugh de la Cour Suprême, réputé "Conservateur" par les progressistes, a même été pourchassé lors d'une soirée au restaurant. La presse bien-pensante, menée par le New York Times, n'a pas de mots assez durs pour flétrir la décision de la Cour Suprême [1].

La fureur a même gagné des pays étrangers à l'empire de la Cour suprême des Etats-Unis et on a même entendu des politiciens français, complètement ignorants du droit américain, annoncer qu'ils imposeraient une inscription du droit à l'avortement dans la Consttution [2]. Des clones européistes ont clamée la même volonté pour les Traités européens [3]. La bêtise et l'ignorance se sont mondialisées à la grande satisfaction de ceux qui tirent les ficelles de ces mascarades.

3 - La réalité de la décision de la Cour Suprême

La presse, majoritairement animée de la fureur abortioniste, a déroulé des narrations qui démontrent qu'elle n'a pas lu le texte de la Décision de la Cour Suprême. Le début de celle-ci est :

Mississippi’s Gestational Age Act provides that “[e]xcept in a medical emergency or in the case of a severe fetal abnormality, a person shallnot intentionally or knowingly perform . . . or induce an abortion of an unborn human being if the probable gestational age of the unborn human being has been determined to be greater than fifteen (15) weeks.” Miss. Code Ann. §41–41–191. Respondents—Jackson Women’s Health Organization, an abortion clinic, and one of its doctors—challenged theAct in Federal District Court, alleging that it violated this Court’s precedents establishing a constitutional right to abortion, in particular Roe v.Wade, 410 U. S. 113, and Planned Parenthood of Southeastern Pa. v. Casey, 505 U. S. 833. The District Court granted summary judgment in favor of respondents and permanently enjoined enforcement of the Act, reasoning that Mississippi’s 15-week restriction on abortion violates this Court’s cases forbidding States to ban abortion pre-viability. The Fifth Circuit affirmed. Before this Court, petitioners defend the Act on the grounds that Roe and Casey were wrongly decided andthat the Act is constitutional because it satisfies rational-basis review. La loi sur l'âge gestationnel du Mississippi stipule que "[s]uscepté en cas d'urgence médicale ou dans le cas d'une anomalie fœtale grave, une personne ne doit pas exécuter intentionnellement ou sciemment . . . ou provoquer l'avortement d'un être humain à naître si l'âge gestationnel probable de l'être humain à naître a été déterminé comme étant supérieur à quinze (15) semaines. » Code Mississippi Ann. §41–41–191. Les intimés — Jackson Women's Health Organization, une clinique d'avortement et l'un de ses médecins — ont contesté la loi devant le tribunal de district fédéral, alléguant qu'elle violait les précédents de cette Cour établissant un droit constitutionnel à l'avortement, en particulier Roe v.Wade, 410 U.S. 113, et Planned Parenthood of Southeastern Pa. v. Casey, 505 U.S. 833. Le tribunal de district a rendu un jugement sommaire en faveur des intimés et a interdit de manière permanente l'application de la loi, estimant que la restriction de 15 semaines du Mississippi sur l'avortement viole les affaires de cette Cour interdisant aux États d'interdire l'avortement en pré-viabilité. Le cinquième circuit a confirmé. Devant cette Cour, les requérants défendent la Loi au motif que Roe et Casey ont été mal jugés et que la Loi est constitutionnelle parce qu'elle satisfait à un contrôle rationnel.

La Cour Suprême n'a pas traité de la prohibition de l'avortement légal. La Cour a répondu à une plainte des abortionistes qui estimaient qu'une loi locale du Mississippi devait aller au delà du délai de 15 semaines de gestation au nom de la constitutionalité du droit à l'avortement. La réponse de la Cour Suprême est claire : "l'Etat du Mississippi a le droit de légaliser l'avortement à moins de 15 semaines de gestation".

Mississippi’s Gestational Age Act is supported by the Mississippi Legislature’s specific findings, which include the State’s asserted interest in “protecting the life of the unborn.” §2(b)(i). These legitimate interests provide a rational basis for the Gestational Age Act, and it follows that respondents’ constitutional challenge must fail. Pp. 76– 78 La loi sur l'âge gestationnel du Mississippi est étayée par les conclusions spécifiques de la législature du Mississippi, qui incluent l'intérêt affirmé de l'État à «protéger la vie de l'enfant à naître». §2(b)(i). Ces intérêts légitimes fournissent un fondement rationnel à la Gestational Age Act, et il s'ensuit que la contestation constitutionnelle des intimés doit échouer. pp. 76– 78.
Syllabus de la Décision, p. 8

Il faut comprendre que la Cour Suprême ne voit aucun inconvénient à entériner la Loi de l'Etat du Mississippi qui établit la légalité de l'avortement sous 15 semaines de gestation. Comme décision anti-avortement, la Cour Suprême "conservatrice" aurait peut être pu faire un effort ...

En réalité, la décision de la Cour Suprême est une décision abortioniste qui soutient la constitutionalité de la Loi du Mississipi qui autorise l'avortement ... avant 15 semaines ! Et la Cour Suprême explique même qu'il n'est pas question d'aller contre le droit à l'avortement :

Under the Court’s precedents, rational-basis review is the appropriate standard to apply when state abortion regulations undergo constitutional challenge. Given that procuring an abortion is not a fundamental constitutional right, it follows that the States may regulate abortion for legitimate reasons, and when such regulations are challenged under the Constitution, courts cannot “substitute their social and economic beliefs for the judgment of legislative bodies.” Selon les précédents de la Cour, l'examen rationnel est la norme appropriée à appliquer lorsque la réglementation de l'État sur l'avortement est contestée par la Constitution. Étant donné que le fait de procurer un avortement n'est pas un droit constitutionnel fondamental, il s'ensuit que les États peuvent réglementer l'avortement pour des raisons légitimes, et lorsque de telles réglementations sont contestées en vertu de la Constitution, les tribunaux ne peuvent pas « substituer leurs convictions sociales et économiques au jugement des organes législatifs. ”
Syllabus de la Décision, p. 7

La confusion des esprits est telle que la chose a échappé à presque tout le monde. Une première explication est tenue par le Juge Alito de la Cour Suprême qui, au début de de la Décision, rapporte l'opinion de la Copur Suprême :

Abortion presents a profound moral issue on which Americans hold sharply conflicting views. Some believe fervently that a human person comes into being at conception and that abortion ends an innocent life. Others feel just asstrongly that any regulation of abortion invades a woman’sright to control her own body and prevents women from achieving full equality. L'avortement présente un problème moral profond sur lequel les Américains ont des opinions très divergentes. Certains croient avec ferveur qu'une personne humaine naît à la conception et que l'avortement met fin à une vie innocente. D'autres estiment tout aussi fermement que toute réglementation de l'avortement porte atteinte au droit d'une femme de contrôler son propre corps et empêche les femmes d'atteindre la pleine égalité.

Cette opposition existe clairement depuis 1973 où la position abortioniste et féministe a fini par triompher sans éliminer l'ancienne opinion dominante des adversaires du droit à l'avortement. La récente décision de la Cour Suprême démontre que les abortionistes, en près de 50 ans, ne sont pas parvenus à éliminer la position favorable à la défense de la vie naissante. Or, aujourd'hui, nous constatons que cette division est partout identique dans tout l'occident américanisé, comprenant notamment l'actuelle Union Européenne. Et il est possible d'affirmer qu'une société divisée sur des conceptions aussi opposées ne peut plus subsister. Aussi, c'est à une autre explication que celle du Juge Alito et de la Cour Suprême qu'il faut se ranger.

4 - Les Possédés sont liés par le meurtre

En 1878, Fédor Dostoïevsky publie un roman qui va traverser le temps : "Les Possédés". Il n'est pas question de se livrer ici à une analyse d'un roman russe qui comporte une centaine de personnages et d'innombrables épisodes tous plus remarquables les uns que les autres. Mais un aspect du roman est éblouissant pour comprendre le monde moderne, occidental, mais pas seulement. Avant de l'exposer, on doit rappeler que la Russie appartient par certains aspects au monde occidental et par d'autres au monde oriental. Au résultat, c'est un peu un monde à part, étrange, qui nous dit des choses de nous-mêmes les occidentaux, et d'autres que nous ne comprenons pas. Ou mal. Laissons celà.

Dans "Les Possédés", presque tout le monde agit, pense, rêve comme s'il était possédé du démon. D'un démon capable de saisir un troupeau de porcs et de le faire de lui-même se précipiter dans la mer ... Dans l'esprit de Dostoïewsky, le monde dans lequel il vit se rue vers une catastrophe terminale. On a longtemps interprété les "Possédés" comme une prophétie de la révolution bolchévick. Il y a du vrai. Mais, on n'a pas compris vraiment l'étendue de l'analyse de Dostoïewsky. La catastrophe vise aussi l'occident et pas à cause seulement du bolchévisme aujourd'hui défunt, disparu. Ou presque.

Un jour, le "possédé" le plus furieux du roman de Dostoïewsky, fait une confession ahurissante. Lorsque l'on cherche à obtenir l'obéissance absolue d'un groupe de " possédés", il révèle que le plus sûr moyen de s'assurer de cette obéissance, c'est de faire suspecter un membre du groupe d'une trahison et de le faire exécuter par les autres. Le meurtre scelle l'union du groupe autour de l'obéissance absolue à la "Cause" !

Aujourd'hui, le droit à l'avortement, c'estle meurtre qui scelle l'unité du groupe des progressistes en Occident, et c'est aussi la mer sans fond dans laquelle ce groupe se précipite avec la fureur des possédés. Lorsqu'une femme se livre à un avortement, généralement sous l'instigation des hommes de son groupe social, elle exécute un meurtre qui la lie inexorablement au groupe progressiste. Et la multiplication des avortements constitue la mer sans fonds dans laquelle se précipite la société abortive. Une société sans enfants n'est-elle pas une société qui disparaît par ses vieillards.

Mais la commission du meurtre scelle l'unité et l'obéissance du groupe. Et cette soumission engendre la fureur chez les membres du groupe. Celle qui s'empare de la foule hurlante qui a pourchassé le Juge Kavanaugh, l'autre soir qu'il voulait passer une soirée toute simple. Au restaurant. Dans sa ville.


Notes et commentaires

[1] Aux Etats-Unis, on peut lire sur le site du New York Times (NYT) :

  1. A Transformative Term at the Most Conservative Supreme Court in Nearly a Century, NYT - 01/07/22 ;
  2. Decades Ago, Alito Laid Out Methodical Strategy to Eventually Overrule Roe, NYT - 25/06/22 ;
  3. Supreme Court Throws Abortion to an Unlevel State Playing Field, NYT - 25/06/22.

[2] En France on pourra lire comme exemple de la centaine d'articles identiques publiés dans la presse de caniveau : Droit à l'avortement dans la Constitution : "Il est de notre devoir de ne pas attendre qu'il soit menacé pour le protéger", Par Juliette Hochberg, Publié le 27/06/2022.

[3] La presse de caniveau continue au niveau européiste : Trésor - Pour protéger l’avortement, le Parlement européen demande à l’inclure dans les droits fondamentaux de l’UE, "Après l’annulation de la garantie fédérale du droit à l’avortement aux Etats-Unis, le Parlement européen joue la carte de la sûreté. L’institution a demandé ce jeudi que le droit à l’IVG soit inscrit dans la charte des droits fondamentaux de l’UE.", par LIBERATION et AFP, publié le 7 juillet 2022 à 18h25.


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